Bruxelles a-t-il sonné le glas de la toute-puissance des agences de notation ? Mardi soir, le Parlement et le Conseil européens leur ont en tout cas imposé de nouvelles contraintes, en s’accordant enfin sur une directive pour ce secteur devenu très médiatique. En épurant les textes réglementaires de toute référence aux notations, Bruxelles a mis un terme à une rente de situation. En harmonisant au niveau européen les régimes de responsabilité civile pour négligence intentionnelle et faute grave, elle va permettre aux investisseurs de demander réparation et éventuellement d’obtenir des dommages et intérêts. «  Le risque n’est pas négligeable pour les agences au vu des faibles fonds propres dont elles disposent », souligne Norbert Gaillard, économiste et spécialiste du secteur. Par ailleurs, nul doute que Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch verront dans le calendrier imposé à certaines notations de dettes souveraines une intrusion mal venue dans leur manière de travailler.

En deçà des propositions initiales

Les mesures prises mardi soir restent cependant très en deçà des propositions faites initialement par la Commission européenne. «  On partait de tellement loin. Si déjà les mesures sur lesquelles il y a eu un compromis se traduisent dans les faits, ce sera bien. Car aujourd’hui, il ne faut pas oublier que les agences ne sont responsables de rien », réagit Frédérique Espagnac, sénateur des PyrénéesAtlantiques, présidente d’une mission d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation en 2011-2012. Plus sceptiques, certains pensent que Bruxelles aurait pu aller plus loin. « La fin des références aux notations dans les textes réglementaires est prévue pour 2020, l’échéance est lointaine, note Norbert Gaillard. Dans les faits, les banques et compagnies d’assurances qui vont devoir produire leur propre “scoring” auraient pu être prêtes bien avant, en 2015. » Sur la question de la responsabilité civile, ce ne sera pas aux agences de prouver qu’elles n’ont pas commis de faute intentionnelle ou négligence grave. «  Il ne s’agit pas d’une inversion de la charge de la preuve, explique l’eurodéputé Jean-Paul Gauzes (PPE). C’est un système classique qu’on a voulu préciser et clarifier pour qu’il soit réaliste et concret, pour éviter que les actions en justice soient automatiquement vouées à l’échec », ajoute-t-il. De quoi faciliter la tâche au plaignant en évitant que n’importe qui puisse porter plainte. «  Simplement, grâce à cette harmonisation européenne, les agences ne pourront plus se placer sous le régime juridique qu’elles considèrent comme le plus avantageux », commente Hubert de Vauplane, avocat associé chez Kramer Levin Naftalis & Frankel. Elles ne profiteront plus d’une délocalisation par le droit.

Par ailleurs, contraindre les agences à publier leurs notes à des dates prévues à l’avance pourrait n’avoir qu’un impact modéré. «  D’abord, parce que cela concerne les pays qui n’ont pas sollicité une notation, soit un quart de l’Union européenne. Ensuite, parce que la dégradation de la France ou des Etats-Unis n’a eu aucun impact sur les marchés », ajoute Norbert Gaillard.

Sans bouleverser totalement le secteur, la législation européenne va quand même ouvrir une nouvelle ère. « Ce n’est pas la fin des agences, plutôt la fin de leur âge d’or, conclut Norbert Gaillard. Curieusement, cette nouvelle période, où l’on refuse les notations financières, présente de fortes similarités avec celle qui a suivi la Grande Dépression aux Etats-Unis, puis la Seconde Guerre mondiale. De 1930 à 1970, la notation financière a décliné. Aujourd’hui, en Europe, la crise économique est d’une telle ampleur que les niveaux des dettes publiques sont inédits pour des temps de paix. L’Europe, pour diverses raisons, justifiées ou non, veut affaiblir les agences de notation, un avatar du capitalisme américain. Après la mise en place de cette nouvelle directive, on pourrait au pire assister à des fermetures de bureaux en Europe et à des retraits de notes d’émetteurs européens. Ailleurs, en Asie et dans les pays émergents, leur rôle n’est pas remis en cause. »

Laurence Boisseau
et Renaud Honoré
Correspondant à Bruxelles