SYLVIE RAMADIER
LE PLUS PETIT DES GRANDS ASSUREURS MONDIAUX MISE SUR L’AGILITÉ
POUR SURVIVRE À LA RÉVOLUTION DIGITALE QUI FAIT TREMBLER SON
SECTEUR.
Après l’aria de la rumeur, le choeur des démentis. Tel un livret d’opéra italien, le scénario
hypothétique d’une union de avec suscite à intervalles réguliers des tentatives de
remise au goût du jour. C’est la routine pour l’assureur historique de La Fenice, le temple lyrique de
Venise. Les patrons respectifs Philippe Donnet et Thomas Buberl, l’un et l’autre aux commandes
depuis quelques mois seulement, ont déjà balayé toute idée de mariage.
Generali Axa
En fait, la promotion du patron de la filiale italienne ne pouvait que stimuler la curiosité de la presse
transalpine, car il est passé par Axa. Le manager français connaît Claude Bébéar (des X devenus
assureurs de métier tous les deux) et a siégé au conseil de Vivendi dont le premier actionnaire,
Vincent Bolloré, sait tirer des ficelles des deux côtés des Alpes. En plus de Telecom Italia, le
Breton est gros actionnaire du premier actionnaire de Generali, la banque Mediobanca.
Le sixième assureur européen par la capitalisation boursière n’en compte pas moins sur ses
propres forces, désireux de devenir plus agile pour relever les défis qui taraudent sa profession.
Les complémentarités existent, mais la différence de taille s’est accentuée depuis la fin des années
1990. Le champion italien pèse 2,5 fois moins que le fleuron français. La combinaison virerait au
rachat pur et simple, pas évident pour un «coffre­fort de l’italianité ». Car le troisième fleuron du
pays dans la liste des multinationales « Fortune 500 », derrière le groupe Exor/Fiat et le pétrolier
ENI, occupe une position centrale dans l’épargne italienne. Et sa longue histoire est indissociable
de celle de la naissance du pays. Fondé en 1831, à Trieste, alors poumon portuaire de l’Empire
austro­hongrois, Assicurazioni Generali Austro­Italiche a toujours fait la preuve de sa capacité
d’adaptation.
L’aigle autrichien a laissé la place dans son logo au lion ailé de Saint Marc, mais les deux sièges
de Trieste et de Venise ont perduré. L’unification italienne ne l’a pas empêché de rester
international, pas plus que la chute des empires centraux, la montée du fascisme ou les guerres
mondiales. Le «« miracle économique italien » » l’a consolé de ses pertes sèches derrière le « rideau
de fer ». Et la chute du mur de Berlin lui a permis d’y reconstituer un pôle de croissance rentable et
enviable (5 % des primes et 9 % du résultat opérationnel), sans se priver à l’ouest de participer au
démantèlement des AGF, reprises par Allianz.
La dernière crise financière, celle de la dette souveraine européenne « périphérique », aurait
quand même pu être celle de trop, vu la taille de son flanc italien (un tiers des primes totales), sans
une énergique remise en ordre de ses finances, sous la férule du patron précédent, Mario Greco,
reparti chez Zurich Insurance. Il a cédé des milliards d’actifs non stratégiques et commencé à
rationaliser le réseau international.
Loin de tuer « il leone di Trieste », l’alerte a achevé de le réveiller. Car les investisseurs mondiaux
ont cessé de réclamer de grosses fusions depuis que les gendarmes mondiaux de la stabilité
financière établissent la liste des assureurs « systémiques », dont Generali est sorti l’an dernier.
Lors de leur «Investor Day » de fin novembre, ils attendent surtout des nouvelles du redressement
opérationnel, de l’évolution du « mix produit » en assurance­vie (pour remplacer les produits
garantis en euros) et la maîtrise des coûts en assurance­dommages.
Car, comme toute la profession en Europe, Generali doit s’adapter à une période d’oxygène raréfié
par la baisse des taux d’intérêt sur ses principaux marchés, proches de zéro, à un moment où de
nouveaux comportements des assurés et de nouvelles technologies font irruption « Les réponses
stratégiques, elles existent. C’est la capacité à les mettre en oeuvre vite et bien, et donc la qualité
du management qui fera la différence. Il faut accélérer », diagnostique le directeur général,
Philippe Donnet, persuadé que Generali pourra continuer de se distinguer avantageusement de la
concurrence par le contrôle de sa distribution, source de valeur, et aussi par le profil
entrepreneurial de ses patrons opérationnels.
Il en est convaincu, un lion à grosse tête et court sur pattes aurait du mal à accélérer. Si le modèle
de management de la fédération de pays appartient au passé, la centralisation excessive peut
désormais être contre­ productive. Les résultats doivent devenir plus homogènes, mais pas
forcément les actions pour y parvenir. A la tête de l’Italie, il a bouclé une restructuration d’ampleur
­ comme un galop d’essai pour d’autres pays ­, une fusion de réseaux, de marques (il en reste
trois : Generali Italia, Alleanza et Genertel) en un temps record.
Generali n’a pas la tâche facile à cause du poids de son activité vie et de trois pays très matures,
l’Italie (il y est numéro 1), l’Allemagne (numéro 2) et la France (5 ou 7 , selon les spécialités). Rien
à voir avec les fenêtres américaines d’Allianz ou d’Axa ou avec l’empire asiatique de Prudential. A
l’international, il veut se concentrer sur ses positions fortes (rentabilité, croissance, qualité du
service, diversification des risques) sans cesser de croire à son potentiel en Amérique latine et en
Chine, sûr que sa petite taille est une force pour s’adapter rapidement. En France, le ratio combiné
(frais et sinistres sur primes) dépasse toujours la cote d’alerte, à la différence de l’Italie, malgré les
restructurations, car le défi des marges techniques est indissociable de l’environnement
concurrentiel local, dominé par des assureurs mutualistes et des bancassureurs.
e
Partout, les comportements des assurés changent (smartphones, réseaux sociaux,
réglementations…), les réseaux se transforment pour suivre la révolution digitale et il faut imaginer
de nouvelles manières de satisfaire les clients.
« Personne n’imagine la disparition du contact humain dans l’assurance. Mais la technologie procure un double effet bénéfique, de la proximité
avec les clients et des économies de coûts », relève Bassem Neifer chez Alpha Value.
Generali a donc gardé son vieux réflexe, regarder par­dessus les frontières pour innover. Il s’est
associé avec un assureur sud­africain, Discovery, pour lancer Vitality en Europe, en prévoyance et
santé, comme il l’avait fait en auto avec l’américain Progressive pour MyDrive. La levée de
boucliers sur ces assurances dites « au comportement » n’inquiète pas ce pionnier de la
télématique (les boîtes noires dans les véhicules), qui a vu les résultats bénéfiques sur les routes,
pour ses assurés et pour lui. Voitures connectées, personnes connectées, maisons connectées, le
métier ne disparaît pas, mais il y a plus de données à traiter et de nouvelles segmentations
tarifaires apparaissent. Les actuaires sont épaulés par des « data scientists ». Si la voiture
autonome se généralise, il y aura toujours des bugs, des accidents, des vols. Et dans la péninsule,
il y a encore un potentiel dans l’assurance­habitation.
Le fleuron italien résiste d’autant mieux à l’usure du temps qu’il reste un assureur dans l’âme, sans
virer au conglomérat. Malgré sa mobilisation générale, on dit qu’il n’a pas sorti assez de munitions
pour Pioneer Investments, qui aurait renforcé sa gestion d’actifs. Son « board » n’est pas du genre
à dilapider ses sous, l’épargne de ses concitoyens. L’intermède de 2011, quand le chairman,
Cesare Geronzi, voulait investir dans les banques italiennes ou les infrastructures, comme une
Caisse des Dépôts bis, n’a pas duré. Il ne faudrait toutefois pas que les administrateurs finissent
par ralentir la course, pour conserver leur pouvoir d’influence. Certains analystes les imaginent
déjà plus audacieux dans quelques années, si la décote boursière veut bien diminuer. Il est un peu
tôt pour rugir de plaisir.
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