Les professions libérales ont décidément maille à partir avec les régimes de protection sociale. Les malheureux qui ont vécu la naissance difficile du Régime social des indépendants (RSI), émaillée de bugs informatiques et d’appels de cotisations comminatoires, ont de gros risques d’avoir souffert également de l’implosion de la Cipav depuis le début de la décennie. Du moins s’ils font partie des 300 métiers affiliés à cette caisse pour leur retraite de base et complémentaire : architectes, autoentrepreneurs, moniteurs de ski, ostéopathes, programmeurs…

Jusqu’à présent, les soucis de la Caisse interprofessionnelle d’assurance vieillesse des professions libérales sont passés au second plan, masqués par ceux du RSI. Mais maintenant que ce dernier a commencé à se réformer, le directeur de la Cipav, Olivier Selmati, nommé en décembre 2014, sait qu’il va être sous les feux des projecteurs. Il s’est donné deux ans pour mettre en oeuvre son plan de secours.

Dysfonctionnements graves

Des pensions entières bloquées pour quelques trimestres de cotisations restés sans preuve, des liquidations qui prennent souvent un an, pas de réponse aux courriers ni aux appels… Ces graves dysfonctionnements sont apparus avec l’irruption massive des autoentrepreneurs depuis 2009. L’affluence aurait dû réjouir les gestionnaires : le ratio cotisants sur retraités est nettement meilleur que chez les salariés, et la Cipav a un matelas de 3,5 milliards d’euros de réserves qui lui suffirait pour servir douze ans de pensions ! Mais le nouveau système d’information n’a pas tenu le choc et l’amateurisme de la gouvernance a précipité la chute.

Au moins Olivier Selmati savait-il où il mettait les pieds. C’est lui qui a mené la mission d’audit sur la Cipav pour la direction de la Sécurité sociale, après la publication en février 2014 d’un rapport au vitriol de la Cour des comptes. « Tous les constats de la Cour étaient objectifs, mais il manquait juste un plan d’action », commente-t-il. Sa priorité ? « Dissoudre le groupe Berri avant 2016 », répond-il. Cette drôle de structure, informelle jusqu’en 2011 où elle a dû se transformer en association, a été créée en 1959 avec trois autres caisses pour mutualiser la gestion informatique, comptable, etc. Elle ne possédait ni salarié, ni bâtiment, ni budget en propre, chaque régime apportant sa contribution en nature. Mais au moment où la Cipav a commencé à tenir un rôle écrasant dans Berri, des dissensions ont surgi. Les caisses ont été incapables de faire front uni lorsque leur système d’information a commencé à craquer.

Chacun va maintenant reprendre ses billes. La Cipav doit rapatrier 300 salariés. Olivier Selmati a fixé ses conditions pour venir : aucun licenciement et les mains libres pour remplacer l’équipe de direction par des professionnels aguerris. Ses cadres viennent du RSI, de l’Agirc-Arrco, de la CAF, des Urssaf… Sur la foi de deux audits, le nouveau directeur a décidé de ne pas jeter le système d’information, mais de le rénover pour 5 millions d’euros sur trois ans. « Les problèmes informatiques ne viennent pas tous du logiciel, nous avons aussi du mal à obtenir ou à “fiabiliser” les données de nos partenaires », souligne Olivier Selmati. En effet, les acteurs de la retraite s’échangent des informations, mais parfois la communication se grippe. Sans compter que le régime simplifié des autoentrepreneurs est intégralement géré par les Urssaf, qui s’interconnectent mal avec la Cipav, comme avec le RSI.

 

L’autre impératif, c’est de rétablir le contact avec les assurés. Le stock de 30.000 courriers en souffrance fin 2014 a été réduit à zéro. Pour être de nouveau joignable, la Cipav a passé un accord avec la Mutualité sociale agricole, qui perd des adhérents. Elle mettra des téléconseillers à disposition dès décembre. Grâce aux efforts de réorganisation de la plate-forme téléphonique, le taux d’appels décrochés est déjà remonté à 90 % en dehors des pics (mars et octobre). La caisse téléphonera désormais de sa propre initiative à ses nouveaux adhérents pour leur souhaiter la bienvenue. La MSA prête aussi ses locaux en région à la caisse qui, jusqu’à présent, n’avait aucun point d’accueil en dehors de Paris. Enfin, prenant exemple sur le RSI, la Cipav va mettre en place progressivement d’ici à 2017 un nouveau système de perception des cotisations, prenant mieux en compte les variations de l’activité. 

Solveig Godeluck, Les Echos