La semaine qui s’achève marque un tournant décisif dans le procès intenté par l’ancien patron d’AIG contre le gouvernement fédéral. Maurice Greenberg, qui accuse l’administration Bush d’avoir été excessivement dure envers son ancienne entreprise et d’avoir spolié ses actionnaires, paraît beaucoup plus crédible dans sa démarche qu’il ne l’était au début du procès. Dans un style très solennel, son avocat a réussi à embarrasser les trois hommes ayant géré le plus directement la crise : l’ancien secrétaire au Trésor Henry Paulson, l’ancien président de la Réserve fédérale de New York Timothy Geithner et l’ancien patron de la Fed Ben Bernanke.

« Tout reste ouvert. Le risque est immense de voir le gouvernement jugé coupable d’un excès de pouvoir », pense Anthony Sabino, professeur de droit à l’université de Saint John.

La question au coeur du procès est la suivante : le gouvernement a-t-il traité équitablement les établissements qui se trouvaient en difficulté en 2008 ? Ne s’est-il pas montré plus conciliant envers les banques de Wall Street qu’à l’égard des assureurs ? Si la réponse est oui, Maurice Greenberg a des chances d’obtenir un dédommagement. ll réclame 40 milliards de dollars, pour lui-même et d’autres actionnaires. Il s’appuie pour cela sur le cinquième amendement de la Constitution américaine, qui interdit de réquisitionner un bien sans une juste indemnisation.

Les derniers jours lui donnent quelques raisons d’être optimiste. Henry Paulson, ancien secrétaire au Trésor mais aussi ancien PDG de Goldman Sachs, a commencé la semaine en reconnaissant qu’AIG avait été traité « plus durement » que les autres groupes sauvés de la faillite, notamment Citibank et Bank of America. Il a admis que les conditions du renflouement avaient été «  punitives  » pour les actionnaires. « C’était un bouc émissaire pour les mauvais agissements de Wall Street », a-t-il avoué.

Pour échapper à la faillite, AIG a ainsi dû accepter un prêt de 85 milliards de dollars, au taux exceptionnellement élevé de 14 %. Un montant qui a plus que doublé au cours des mois suivants, mais qu’AIG a intégralement remboursé à la fin de 2012. L’Etat a aussi nationalisé le groupe en prenant près de 80 % de son capital. Ce qui semblait une grosse prise de risque à la fin de 2008 s’est révélé très lucratif pour le gouvernement : au final, le Trésor américain a réalisé une plus-value de 23 milliards de dollars dans cette opération.

Appelé à la barre après Henry Paulson, Timothy Geithner a eu lui aussi du mal à justifier les termes qu’il avait employés au sujet d’AIG : « Le plan de secours du gouvernement a laminé les actionnaires d’AIG », avait-il notamment déclaré il y a quelques années, donnant ainsi un nouvel argument à Maurice Greenberg, qui accuse le gouvernement d’avoir « spolié » les actionnaires. Si le gouvernement s’est montré si dur à l’égard d’AIG, c’était pour décourager d’autres entreprises de frapper à sa porte, a fait valoir Timothy Geithner jeudi.

AIG a beau se trouver au coeur du procès, il n’est pas associé à la démarche de son ancien PDG. Son conseil d’administration en avait longuement débattu au début de l’année 2013. Mais il avait finalement renoncé à se joindre au mouvement, de peur de ternir son image. «  Il faut avoir du culot pour dire à un gouvernement qui vous a sauvé de la faillite qu’il ne vous a pas suffisamment payé » , explique John Coffee, professeur de droit à l’université Columbia. Plutôt que jouer les ingrats, AIG a donc pris le parti de la reconnaissance : « Nous continuons de remercier l’Amérique pour son soutien », déclarait il y a encore quelques mois l’actuel président du groupe, Robert Benmosche. Le procès doit se prolonger jusqu’au 18 novembre. 

Lucie Robequain, Les Echos
Bureau de New York