Les objets connectés et les réseaux sociaux collectent une foule d’informations sur notre vie quotidienne. S’ils arrivent à faire parler cette montagne de données, les assureurs disposeront d’un outil d’une puissance inouïe, aux applications infinies.

 

Laurent Thévenin Journaliste au service Finance des « Echos ».

 

Un coup d’oeil à votre bracelet électronique : 6.123 pas depuis le réveil… En montant dans votre voiture, vous vous dites que vous ferez mieux le lendemain. Dix minutes plus tard, vous vous garez devant chez vous après avoir enfreint les limitations de vitesse à deux endroits, donné trois coups de freins un peu brusques et accéléré brutalement à huit reprises, comme l’atteste le capteur installé dans votre véhicule. Vous n’y prêtez plus forcément attention, mais ces données ne sont pas perdues pour tout le monde. Pas plus que les innombrables traces laissées lorsque l’on surfe sur Internet et sur les réseaux sociaux. Car pour les assureurs, c’est une aubaine. Avec cette masse de données à haute valeur ajoutée pour eux, ils vont pouvoir connaître de mieux en mieux, et en temps réel, le comportement de chacun d’entre nous – qui leur avons par ailleurs déjà donné de notre plein gré une foule d’autres informations -, et nourrir encore et encore leurs modèles.

Scénario de science-fiction ? Pour l’instant, l’assurance n’en est certes pas encore là. Dans les compagnies, les réflexions sur l’exploitation des mégadonnées – le fameux Big Data – n’en sont qu’à leurs balbutiements. Et les objets connectés ne sont pas encore entrés dans la vie quotidienne des assurés : le « pay how you drive », c’est-à-dire l’utilisation de la télématique pour moduler la prime en fonction du comportement au volant, débarque à peine en France et n’a pas vraiment décollé aux Etat-Unis. Il n’empêche, tout annonce une probable révolution dans l’assurance.

Le Big Data semble ouvrir en grand le champ des possibles – même si le terrain de jeu sera sans aucun doute très encadré, en particulier pour tout ce qui touchera à la santé. S’ils arrivent à faire parler cette montagne de données sans lien les unes avec les autres en trouvant les bonnes corrélations, les assureurs disposeront en effet d’un outil d’une puissance inouïe, aux applications infinies.

A l’évidence, ils auront là un formidable moyen de lutter contre la fraude grâce à la détection de « signaux faibles ». Sur un plan commercial, ils pourront s’en servir pour devancer la résiliation d’un contrat ou un besoin nouveau. Ou, bien sûr, pour affiner au plus près leurs garanties et leurs prix. Comme le souligne Stéphane Dedeyan, directeur général délégué de Generali France, « cela va repousser les limites de la segmentation : on va regarder le monde sous un angle de vue totalement différent et donc pouvoir cibler la souscription sur des segments de population nouveaux. Nous allons aller vers une assurance plus personnalisée ».

Du côté des assurés, on semble plutôt prêt à jouer le jeu. D’après une récente étude du cabinet de conseil PwC, plus de la moitié des Français sont ainsi prêts à fournir des informations personnelles complémentaires à leurs assureurs, y compris sur leur mode de vie. A condition, bien sûr, d’en retirer un avantage.

Pour les assureurs, le Big Data offre donc une formidable opportunité de se différencier dans un contexte concurrentiel hypertendu, et de répondre à une pression croissante des clients. Car « le consommateur exige de plus en plus de payer le prix qui correspond à son risque », expliquait il y a peu aux « Echos » Jacques Richier, le PDG d’Allianz France. Une attente qui a déjà favorisé l’apparition d’offres dites « modulaires », c’est-à-dire à la carte, qui permettent au souscripteur de sélectionner ses garanties santé.

« Notre profession vit une période très intéressante, où il faut réinventer la mutualisation, dont certains principes historiques peuvent être mis en cause par l’individualisation croissante de la société », ajoutait Jacques Richier dans nos colonnes. De fait, il est bien question de revisiter, et non de supprimer ce principe fondamental de l’assurance. «  Dans notre métier, il y a toujours un questionnement permanent sur le point d’équilibre à trouver entre la segmentation, qui permet d’aller chercher les meilleurs risques, et la mutualisation », rappelle Stéphane Dedeyan. Un principe à bien garder en tête, alors qu’une utilisation jusqu’au-boutiste du Big Data pourrait venir fragiliser cet édifice. « Pour l’industrie de l’assurance, un des pièges à éviter est de pousser à ses limites un système fondé sur la mutualisation. En effet, si à la fois les données plus nombreuses et les moyens d’analyse plus pertinents permettent par exemple une tarification extrêmement fine, quasiment individualisée, quelle place restera-t-il à la mutualisation ? […] Dans une industrie friande de modèles prédictifs, la capacité d’anticipation devenue “infaillible” sonnerait la fin de l’incertitude et de l’assurance », prévient Gontran Peubez, directeur conseil chez Deloitte, dans la revue « Risques » (1). Les assureurs évolueront donc sur un chemin de crête.

Mais l’un des principaux intérêts du Big Data et des données récupérées via les objets connectés est peut-être à chercher ailleurs, au-delà des enjeux purement assuranciels ou marketing. D’après Olivier Arroua, du cabinet de conseil Selenis, « cela pourrait permettre aux assureurs d’offrir de la prévention, des conseils ou un accompagnement vraiment personnalisés. Ils auraient ainsi une autre mission : celle d’aider les gens à se maintenir en bonne santé ». Ce qui ouvre donc la porte à un tout autre « business model ».

Laurent Thévenin
Journaliste au service Finance des « Echos ».