SOLVEIG GODELUCK, NINON RENAUD ET LAURENT THÉVENIN
DANS SA PREMIÈRE INTERVIEW DEPUIS SON ÉLECTION À LA PRÉSIDENCE DE
LA MUTUALITÉ FRANÇAISE EN JUIN, THIERRY BEAUDET REVIENT, À
L’OCCASION DES JOURNÉES DE RENTRÉE DU MOUVEMENT QUI SE TIENNENT
JUSQU’À CE VENDREDI À LILLE, SUR LES GRANDS DÉFIS POUR LE SECTEUR.
Les règles du jeu ont beaucoup changé ces dernières années dans l’assurance­santé. Quel
bilan en tirez­vous ?
Les complémentaires santé ont subi successivement un quinquennat d’inflation fiscale, avec une
augmentation continue des taxes, puis un quinquennat d’inflation réglementaire (généralisation des
contrats collectifs ou ANI, contrats seniors, etc.). Cela commence à faire beaucoup ! Le modèle
économique des mutuelles en est sorti fragilisé.
Pour quelles raisons ?
La spécificité des mutuelles, c’est qu’elles sont des organismes à but non lucratif, spécialistes de la
santé. Elles tarifient leurs contrats au plus près du coût du risque. Mais elles ont en face d’elles
des acteurs plus diversifiés qui, dans une logique de conquête de parts de marché en assurancesanté,
peuvent être plus agressifs sur les prix. On assiste en outre à un mouvement de mise à une
concurrence de plus en plus forte via la multiplication de paniers de soins dont le critère
prédominant est celui du prix le plus bas. C’est une mécanique infernale.
L’ANI y a­t­il contribué ?
Elle s’est traduite par une multiplication des segmentations puisque les modalités d’accès à la
complémentaire santé dépendent du statut de chacun. La complémentaire santé n’est pas la
même selon qu’on est salarié, fonctionnaire, retraité, chômeur. Chaque changement de statut crée
une rupture dans la protection des assurés. Avec une telle approche, on est en retard d’une guerre
car les parcours professionnels sont de plus en plus complexes et incertains. On n’échappera donc
pas à une remise à plat du système.
Vous rejetez aussi le projet de labellisation des contrats pour les plus de 65 ans…
Cette réforme est complètement inadaptée aux attentes des seniors et ne répond pas à un
véritable enjeu, celui des besoins de soins qui croissent avec l’âge en même temps que les
sources de revenus baissent. Ce projet est également dangereux, parce que les hypothèses
envisagées aboutissent à un tarif 30 % inférieur au coût du risque. Ce n’est pas tenable, c’est
même mortifère. C’est pour cela que j’ai demandé aux mutuelles de ne pas s’inscrire dans ce
dispositif. Plus globalement, tous les dispositifs qui segmentent les populations favorisent les
acteurs qui sélectionnent le risque, plutôt que ceux qui veulent organiser des solidarités plus larges
entre générations.
Comment abordez­vous les négociations sur les tarifs dentaires ?
On a laissé se développer la liberté tarifaire pour les soins prothétiques pour compenser le fait
qu’on ne revalorisait pas les soins conservateurs. En termes de santé publique, c’est un contresens
absolu, puisqu’il faudrait plutôt favoriser la prévention avec des soins bucco­dentaires bien
cotés. Les mutuelles ont déjà passé des accords avec les chirurgiens­dentistes sur des soins de
qualité à un tarif maîtrisé. Nous sommes favorables au fait de revaloriser les soins conservateurs.
Nous avons donc proposé à l’Union nationale des organismes d’assurance­maladie
complémentaire (Unocam) de participer à la négociation dentaire. Le problème, c’est qu’elle vient
après la négociation avec les médecins, dont l’impact financier sera déjà de 315 millions d’euros
en année pleine pour les complémentaires santé, dont 165 millions pour les seules mutuelles. Le
ministère de la Santé et l’Assurance­maladie ne peuvent pas laisser croire que cela sera sans
impact sur le budget des ménages : ces coûts seront répercutés sur les assurés. Or, la très large
majorité de nos adhérents regardent de plus en plus leurs cotisations à l’euro près.
Etes­vous inquiet pour la solidité du monde mutualiste ?
Au moment où nous entrons dans Solvabilité II, les mutuelles gardent un niveau de solvabilité
élevé, à environ 300 % en moyenne. Mais c’est la tendance actuelle qui est préoccupante : nous
faisons l’objet d’injonctions contradictoires. Les résultats techniques des mutuelles ont continué à
se détériorer, notamment avec l’ANI, et sont aujourd’hui proches de zéro, d’après les chiffres de la
DREES. Elles n’ont donc plus de marges. Et, si on les oblige à proposer des couvertures à des
prix inférieurs à leur coût technique, elles ne pourront qu’être fragilisées.
Comment peuvent­elles s’en sortir ?
En faisant des gains d’efficience et en ayant un pilotage technique performant. Il leur faut trouver le
bon équilibre entre l’exigence de développement et l’exigence de rentabilité. Nos membres doivent
avoir le pouvoir de vraiment tarifer au prix technique. C’est pour cela que je m’oppose à tous les
dispositifs qui nient les coûts techniques. Enfin, elles doivent se diversifier, en particulier sur la
prévoyance.
Cela passe­t­il par la poursuite de la concentration du secteur ?
C’est une solution, mais ce n’est pas l’unique réponse. Je crois profondément aux bénéfices de la
proximité. Les mutuelles locales, les mutuelles petites et moyennes peuvent être pertinentes et
performantes. Cela n’empêche pas de rechercher des synergies avec d’autres.
Que peuvent apporter de plus les mutuelles au système de protection sociale ?
Beaucoup de besoins sont insuffisamment couverts. Les mutuelles pourraient ainsi agir davantage
sur les problématiques d’accès au logement. Elles doivent aussi répondre au défi du vieillissement
de la population. La société n’a pas pris la pleine mesure des enjeux qui sont liés à la perte
d’autonomie. Il y a dans ce domaine un modèle économique à développer autour des services.
Nous sommes clairement attendus sur ce terrain­là, au­delà de l’assurance. Je ne veux surtout pas
que le monde mutualiste se laisse enfermer dans le seul champ de la santé.
Pourquoi êtes vous défavorable à l’assurance­santé comportementale ?
Je suis en profond désaccord sur une assurance « pay as you live », dont l’objectif véritable serait
de répondre à une stratégie de sélection des risques. Il n’est de progrès en santé que s’il est
partagé par tous et il est de notre responsabilité de s’en assurer. En revanche, je n’ai aucune
réserve sur le fait que nous devrions pouvoir utiliser les données de santé et les moyens de
communication à notre disposition pour nourrir et densifier la relation avec nos adhérents et les
inviter à avoir des comportements moins nocifs pour leur santé.

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