LAURENT THÉVENIN
INTERVIEW
Le Brexit est­il un danger pour la City ?
La City va rester ce qu’elle est, un centre financier de premier plan, en raison de son capital
intellectuel, de ses infrastructures ou de son rôle sur le marché de la compensation, notamment.
Les grandes banques et compagnies d’assurances européennes ont fait d’énormes
investissements à Londres. Elles ne vont pas s’en aller comme cela.
Quelle est la priorité pour le Lloyd’s, le grand marché londonien de l’assurance
spécialisée et de la réassurance ?
Je ne pense pas que le milieu britannique des affaires s’attendait à un tel vote. Mais il nous
faut faire avec. Rien ne va changer dans les deux prochaines années. Mais nous travaillons déjà
avec le gouvernement pour montrer qu’il est dans l’intérêt de tout le monde que les entreprises
basées à Londres puissent conserver un accès au marché unique de l’Union européenne et, à
l’inverse, que les entreprises de l’UE puissent elles aussi avoir un accès au marché britannique. Il
faut donc maintenir les droits de « passporting » [qui permettent aux compagnies d’offrir des
services dans d’autres pays, NDLR]. C’est fondamental, pas seulement pour le Lloyd’s, mais aussi
pour la City en général.
Quel sera l’impact sur le Lloyd’s ?
Nous allons évidemment être touchés. En 2015, sur nos 36,8 milliards d’euros de primes, 11 %
sont venues de l’Union européenne. C’est non négligeable, mais sans être énorme non plus. Nos
activités de réassurance ne devraient toutefois globalement pas être trop affectées, de même que
l’assurance­aviation ou transport. Nous travaillons sur différentes options, dont l’une pourrait consister à permettre au Lloyd’s de souscrire les affaires européennes à partir d’une entité
européenne « onshore ».
Sous quelle forme ?
La solution la plus probable consisterait à créer une nouvelle plate­forme dans un pays de
l’Union européenne. Quoi qu’il en soit, Londres restera le coeur du Lloyd’s. Et si nous obtenons un
accès satisfaisant au marché unique, alors nous n’aurons pas besoin de mettre en oeuvre ce plan,
d’autant plus qu’il représente des coûts significatifs.
Comment envisagez­vous le développement du Lloyd’s ?
Nous faisons environ 90 % de notre activité hors de l’Union européenne. L’Allemagne, l’Italie
ou la France, un pays dans lequel nous avons collecté 500 millions d’euros de primes en 2015,
sont toujours très importants pour le Lloyd’s, mais ils n’ont évidemment pas connu le même rythme
de développement que d’autres pays. Depuis cinq ans, nous nous sommes renforcés dans les
économies à forte croissance, en Amérique latine, en Chine, en Asie du Sud­Est ou au MoyenOrient.
Le ralentissement qu’ont connu certains pays émergents, comme le Brésil en particulier, ne
remet pas en cause leur potentiel à long terme, parce qu’ils sont très sous­assurés et confrontés à
des risques grandissants du fait de l’urbanisation.
Quels nouveaux marchés visez­vous ?
Dernièrement, le Lloyd’s a obtenu l’autorisation d’opérer en Inde comme un marché
« onshore » pour la réassurance, après quinze ans de discussions avec le gouvernement. Nous
venons aussi d’ouvrir un bureau en Colombie. En Chine, plus de la moitié de nos syndicats sont
désormais présents sur notre plate­forme à Pékin. Notre deuxième plus gros « hub » après
Londres est à Singapour. Dans le même temps, nous nous sommes considérablement renforcés
aux Etats­Unis, qui est déjà notre plus grand marché (41 % de nos primes brutes émises). Cela
tient pour partie à la bonne dynamique de l’économie américaine et pour partie à notre différentiel
de performances avec nos concurrents.
La feuille de route pour 2025 que vous aviez présentée il y a quatre ans et qui doit vous
permettre de consolider votre position de centre mondial de l’assurance spécialisée est­elle
toujours d’actualité ?
Nous actualisons en permanence Vision 2025, car les défis sont plus grands qu’il y a quatre
ans, avec les taux bas et un environnement toujours plus concurrentiel. Mais ses grands principes
restent les mêmes. La compétition est beaucoup plus rude avec les acteurs locaux. Mais c’est
aussi une bonne nouvelle pour nous, puisque l’un de nos objectifs est précisément d’essayer
d’attirer sur le marché du Lloyd’s des assureurs des pays émergents.
Comment pensez­vous faire la différence ?
Le Lloyd’s donne l’accès au meilleur panel de souscripteurs des risques spécialisés. Son
réseau de licences à travers le monde est également sans équivalent. Nous avons aussi la
capacité d’accepter des risques que les autres opérateurs ne veulent pas prendre en les
« syndiquant » entre nos membres. Notre attractivité est évidente puisque la plupart des grands
assureurs et réassureurs globaux sont présents sur le Lloyd’s.
Les tarifs de la réassurance sont sous pression depuis plusieurs années. Anticipezvous
un prochain retournement de tendance ?
Pour l’instant, je ne vois pas de signes l’annonçant. Les taux d’intérêt sont toujours bas, ce qui
fait que les investisseurs à la recherche de rendements apportent des capitaux dans l’industrie de
la réassurance et contribuent à renforcer les surcapacités. Quant au niveau de catastrophes, il a
été relativement bénin ces dernières années. Cela dit, avec ces prix bas la rentabilité du secteur
commence à être sous tension. Cela va peut­être conduire les fournisseurs de capitaux à mettre la
pression sur le management des entreprises de réassurance.
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