C’est un accord tout à fait insolite qui est en train de se négocier entre JP Morgan et les régulateurs américains. La première banque du pays propose de payer plusieurs milliards de dollars pour solder une série de litiges liés à la crise immobilière. Accusée d’avoir trompé les investisseurs sur la qualité de ses titres hypothécaires, elle pourrait mettre jusqu’à 11 milliards de dollars sur la table, selon la presse américaine, ce qui en ferait, de très loin, la plus grosse amende jamais payée par une banque américaine.

Selon le montant retenu in fine, il s’agira même peut-être du plus gros accord amiable négocié par le ministère de la Justice, tous secteurs confondus. La banque a toutefois les moyens d’acquitter une somme, même si élevée : elle a dégagé un profit de 6,5 milliards de dollars, rien qu’au deuxième trimestre. Jamais un accord n’avait été négocié de manière aussi globale : il permettrait de clore les poursuites engagées tout à la fois par le ministère de la Justice, le ministère du Logement et le bureau du procureur général de New York.

La banque new-yorkaise y a beaucoup intérêt : longtemps considérée comme la plus solide de Wall Street, elle est embarquée dans des contentieux juridiques avec une quinzaine de juridictions différentes : des régulateurs américains (laSEC, la Réserve fédérale, le Bureau du contrôle des monnaies, etc.), des régulateurs régionaux ainsi que deux pays étrangers.

Les faits qui lui sont reprochés sont très divers, donnant l’impression d’une banque qui tente de frauder par tous les moyens : on l’accuse d’avoir manipulé les marchés de l’énergie en Californie et dans le Midwest, d’avoir surfacturé des cartes de crédit et d’avoir embauché des enfants de hauts fonctionnaires chinois pour obtenir des marchés. A cela s’ajoute le scandale de la « baleine de Londres », qui a fait perdre 6 milliards de dollars à la banque et révélé des prises de risques insensées sur les produits dérivés.

Ces litiges ont évidemment un coût : la banque a déjà payé plus de 900 millions de dollars la semaine dernière au titre de la « baleine de Londres ». La manipulation des marchés de l’énergie lui en a coûté 400 millions de plus. Mais, au-delà de l’argent, c’est surtout sa réputation et le moral de ses salariés qui sont en jeu. Elle espère donc clore cette séquence juridique au plus vite pour repartir de l’avant.

Solde de tout compte ?

L’accord négocié cette semaine ne réglera pas tous ses déboires juridiques. Il n’est même pas certain qu’il solde tous les litiges associés à la crise immobilière. Outre le montant de la peine et le périmètre des contentieux qui seraient effacés, plusieurs points sont encore en discussion : le ministère de la Justice souhaiterait notamment que JP Morgan reconnaisse avoir fraudé de manière intentionnelle.

L’enjeu peut paraître symbolique, mais il est lourd de sens. De fait, la tradition veut que les banques règlent la plupart de leurs litiges « sans infirmer ni confirmer leur culpabilité ». Cette pratique est de plus en plus contestée, car elle donne un blanc-seing aux patrons des banques, alors que des salariés de rang inférieur sont reconnus coupables – ce fut le cas de Fabrice Tourre, l’ancien trader de Goldman Sachs. JP Morgan aimerait éviter cet aveu. Elle craint que cela encourage des particuliers et des agences à lancer de nouveaux recours juridiques pour obtenir réparation. Elle a certes reconnu sa culpabilité dans l’affaire de la « baleine de Londres ». Mais les personnes pouvant s’estimer lésées étaient beaucoup moins nombreuses que les victimes de la crise immobilière.

Lucie Robequain
Bureau de New York