« Pas de commentaires », « je préfère ne pas parler de ce sujet », « vous comprendrez qu’il m’est impossible de répondre à vos questions dans un moment pareil »… A Zurich, Genève, Londres ou Paris, la gêne est perceptible dès qu’il s’agit de Zurich Insurance. Le suicide de Pierre Wauthier, le directeur financier du groupe suisse retrouvé mort la semaine dernière et la démission surprise trois jours plus tard du président, Josef Ackermann, qui était mentionné dans la lettre écrite par le défunt pour expliquer son geste, laissent de nombreuses questions sans réponse. Les rares analystes qui acceptent de s’exprimer ne cachent pas leur confusion, voire leur inquiétude.

« Tout le monde a été surpris par cette affaire », avoue Thomas Seidl de Sanford C. Bernstein. « Le départ de Josef Ackermann m’avait déjà étonné, mais j’ai été encore plus étonné par les termes utilisés dans sa lettre de démission », renchérit Peter Eliot de Berenberg. L’ancien patron de Deutsche Bank, qui avait choisi de rentrer dans sa Suisse natale en mai 2012, s’est en effet montré très mystérieux dans le communiqué qu’il a rendu public la semaine dernière. « J’ai des raisons de croire que la famille estime qu’il me faut prendre une part des responsabilités même si ces allégations sont complètement infondées, a-t-il expliqué. Pour éviter tout dommage à la réputation du groupe Zurich, je démissionne avec effet immédiat. »

Des membres de son conseil d’administration auraient cherché à l’empêcher de quitter un navire déjà ébranlé par le suicide de son directeur financier. «  Un tel départ est inquiétant pour le groupe et on ne peut s’empêcher de se demander les raisons qui peuvent pousser un président à prendre une telle décision », s’interroge Peter Eliot. L’ancien colonel de l’armée suisse, qui rêvait de devenir chanteur d’opéra, n’avait pas la réputation d’être sensible aux états d’âme de ses cadres supérieurs. « Le style de management de Josef Ackermann, qui cherchait avant tout la croissance, semblait différent de la culture de Zurich Insurance, qui était tournée vers la qualité des revenus et une prise de risques limitée », indique Peter Eliot. Ces derniers mois, l’ancien banquier d’investissement avait visiblement renforcé la pression sur ses troupes pour qu’elles tentent d’accroître rapidement la rentabilité de Zurich.

Le troisième assureur européen traverse une période difficile. Il a subi des revers aux Etats-Unis, du fait notamment de l’ouragan Sandy et de sa coopérative Farmers, ainsi que sur le marché allemand. « Ses soucis ne sont pas liés les uns aux autres et on peut souvent les mettre sur le compte d’un manque de chance, mais quand on traverse plusieurs trimestres difficiles consécutifs, le marché commence à ne plus à croire à la malchance et les pressions sur le management s’intensifient », ajoute Peter Eliot. Pour tenter d’embellir ses comptes, Zurich Insurance a « revendu l’an dernier de nombreuses obligations à fort rendement, indique Thomas Seidl. Cela leur a permis de verser des dividendes, mais cette décision a eu un impact sur les revenus que le groupe avait prévu d’enregistrer lors des trimestres suivants ».

Le suicide de Pierre Wauthier aurait fait comprendre à son président qu’il ne disposerait plus de la marge de manoeuvre nécessaire pour pouvoir mener les réformes qu’il souhaitait mettre en oeuvre pour relancer l’assureur. « Il est très difficile actuellement de savoir ce qui se passe dans ce groupe », souligne Peter Eliot. Cette incertitude n’est pas faite pour rassurer les marchés.

Frédéric Thérin
Correspondant à Munich