Ere de répression financière ou période bénie. Les années passées ont été douloureuses pour tous les investisseurs qui devaient détenir des emprunts d’Etat sûrs, mais très favorables à des pays comme les Etats-Unis, l’Allemagne et la France, qui ont pu emprunter à des taux parfois négatifs. Cette période semble révolue. La semaine passée, Berlin a placé de la dette sur les marchés au taux le plus élevé depuis décembre 2011, tandis que Paris a émis des obligations à 10 ans au taux le plus haut depuis l’élection de François Hollande. De fait, les coûts de financement sont en nette augmentation depuis que la banque centrale américaine a annoncé en mai dernier qu’elle ne maintiendrait pas éternellement sa politique d’achat d’emprunts d’Etat et, dans une moindre mesure, depuis que les indicateurs conjoncturels se redressent des deux côtés de l’Atlantique.

Depuis mai, le taux à 10 ans des Etats-Unis a bondi de 127 points, à 2,93 % (après un bref passage à 3 % vendredi), et a entraîné dans son sillage le taux allemand, qui a grimpé de 78 points de base à 1,98 %, et celui de la France (+ 87 points à 2,55 %). Par contagion, les taux auxquels les entreprises se financent sur les marchés ont aussi augmenté : en Europe, ils sont passés d’une moyenne d’environ 2 % début mai à 2,77 %.

Malgré un rapport mensuel sur l’emploi aux Etats-Unis moins bon que prévu vendredi, la tendance devrait se poursuivre, prophétisent les intervenants de marché. «  Je pense que Ben Bernanke [le patron de la Réserve fédérale américaine, NDLR] et ses acolytes sont obligés de commencer à réduire les achats de titres », a affirmé Bill Gross, le patron de Pimco, le plus gros fonds obligataire au monde, lors d’un entretien avec Bloomberg. « Le virage sera lent au lieu d’être rapide. » Même son de cloche chez la plupart des analystes pour qui le tournant devrait avoir lieu le 18 septembre, lors de la prochaine réunion de la Fed.

Mais un virage dans la politique « non conventionnelle » de la banque centrale américaine et une embellie économique, en particulier aux Etats-Unis, ne signifient pas pour autant qu’un krach aura lieu sur les marchés obligataires. D’ailleurs, selon la banque Morgan Stanley, les taux allemands à 10 ans devraient atteindre près de 2,5 % d’ici à juin 2014, soit leur niveau de juillet 2011. Au pis, ils grimperont jusqu’à 3 %, ce qui n’a rien de vertigineux. Steven Major, chez HSBC, fait un rappel historique utile sur la crise de 1994 : «  Les taux longs américains avaient bondi de 130 points de base en seulement huit semaines après le changement de cap de la Fed. » Et, de fait, la comparaison avec 1994, lorsque Alan Greenspan, le patron de la Fed, a relevé par surprise les taux d’intérêt américains et provoqué un krach obligataire (une envolée des taux sur les marchés), a des limites. La situation économique est aujourd’hui très différente. La reprise est fragile, alors que la croissance du PIB était de 5 % en 1993. Idem pour l’inflation qui, aujourd’hui n’est pas une menace. La stratégie de la Fed est donc différente : celle-ci communique mieux et prépare les marchés ; par ailleurs, elle n’a pas l’intention de relever ses taux directeurs probablement avant 2015. D’ailleurs, les taux courts ont beaucoup moins réagi que les taux longs ces derniers mois. Par exemple, en Allemagne, les rendements obligataires à 2 ans se sont tendus de moins de 30 points de base depuis mai.

Il est vrai cependant que la remontée des taux, essentiellement dictée par les Etats-Unis, peut constituer un handicap pour une Europe toujours convalescente. Ainsi, selon la Société Générale, les coûts d’emprunt des entreprises européennes sur les marchés devraient s’accroître, en lien avec la remontée des taux de l’Allemagne. Les crédits qui dépendent des taux d’emprunt des Etats devraient aussi devenir plus chers. En revanche, les investisseurs qui vont acheter des obligations bénéficieront de rendements meilleurs. Notamment les banques qui, en prêtant à long terme tout en se finançant à court terme, vont pouvoir améliorer leurs marges.

Isabelle Couet