Avec des actifs atteignant les 1.000 milliards de dollars (environ 700 milliards d’euros) affichant une croissance située entre 10 % et 20 % selon les classes, la finance islamique ne connaît pas la crise. Si le Luxembourg et le Royaume-Uni ont saisi assez tôt les opportunités de ce marché qui prohibe tout taux d’intérêt, la France a mis plus de temps. Et le secteur a du mal à prendre son envol. Il y a quasiment un an jour pour jour, l’administration publiait quatre instructions visant à alléger la fiscalité de quatre produits, dont les « sukuks » (titres s’apparentant à des obligations). Il était question de faire de Paris un hub (une plaque tournante) de la finance islamique.

Mais, en dépit de ces efforts, force est de constater que la finance islamique reste encore peu présente dans l’Hexagone. « Le retour à la normale des marchés financiers et du financement bancaire classique en octobre dernier avait fait perdre de l’intérêt à ce type de financement », souligne Gilles Saint Marc, associé chez Gide Loyrette Nouel. Boubkeur Ajdir, directeur de projets chez Islamic Finance Advisory and Assurance Services (Ifaas), explique aussi qu’en période de taux bas, « les “sukuks” peuvent être moins intéressantes en termes de coûts pour les émetteurs que les obligations traditionnelles ».

De plus, peu d’initiatives ont été prises par les banques jusque-là. Aucun partenariat n’a été envisagé récemment par un grand établissement français. BPCE a, en mars 2010, réfléchi à une éventuelle coopération avec la Qatar Islamic Bank, mais rien ne fut décidé. La Société Générale avait, elle, selon une étude de l’Association d’innovation pour le développement immobilier et économique (Aidimm) et de l’Ifaas, commercialisé sur l’île de La Réunion, en 2008, un fonds qui avait recueilli 15 millions d’euros en dix semaines de commercialisation. Depuis, la banque de La Défense indique travailler sur la commercialisation de produits dans la banque de détail en France, sans donner plus de précisions.

Rares initiatives

Pourtant, les banques françaises ont un savoir-faire dans ce domaine précis. « Elles sont actives, mais à l’étranger. BNP Paribas et Crédit Agricole sont ainsi des acteurs importants au Moyen-Orient », rappelle Laurent Weill, professeur affilié à l’Ecole de Management de Strasbourg et coresponsable d’un diplôme d’université de finance islamique.

Dans ce contexte de prudence (lire ci-dessous), seules quelques initiatives ont été entreprises. Installée en France, la banque marocaine Chaabi a ouvert le premier compte épargne respectant les préceptes de la charia en juin dernier. Le Groupe 570, une société française, va lui proposer d’ici à la fin de l’année des montages équivalents à des crédits immobiliers, des services d’investissement et des produits d’assurance-vie. En dehors de la Chaabi, la société ne veut pas encore révéler les noms de ses partenaires, mais son président-fondateur, Anass Patel, affirme que des grands acteurs de la banque et de l’assurance vont en faire partie. Les instructions fiscales ont aidé son entreprise : « Sans être révolutionnaires, elles rassurent les partenaires en constituant un texte sur lequel nous pouvons nous baser », explique-t-il.

La finance islamique met donc du temps à s’implanter en France. Toutefois, les tensions sur les marchés pourraient catalyser l’intérêt des acteurs en recherche de liquidité, comme le note Gilles Saint Marc : « La crise qui sévit à nouveau aujourd’hui peut lui redonner un attrait parce que les pays du Golfe sont parmi les rares pays qui, grâce à leurs mannes gazières et pétrolières, ont des excédents de liquidité qu’ils peuvent placer hors de leurs marchés domestiques. » Selon nos informations, de nouvelles instructions fiscales sur quatre autres produits sont actuellement en cours d’élaboration. Interrogé, Bercy n’a pas souhaité confirmer.

J. M.