JÉRÉMY BRUNO
EN CHERCHANT À FAVORISER LA COLLECTE EN UNITÉS DE COMPTE, LES ASSUREURS-VIE SE DÉTOURNENT DE LEUR CLIENTÈLE LA PLUS POPULAIRE.
A côté du Livret A,

l’assurance-vie a longtemps fait figure de « placement préféré des Français ».
Mais, de plus en plus, des Français les plus aisés.
Selon les données publiées en juin dernier par le cabinet Facts & Figures
, les foyers fiscaux affichant un revenu fiscal d’au moins 50.000 euros vont bientôt concentrer plus de 50 % des encours de l’assurance-vie. C’est une inversion historique qui se profile, puisque jusqu’à présent les foyers gagnant entre 10.000 et 50.000 euros « pèsent » plus de la moitié des 1.508 milliards d’euros (à fin 2016) d’épargne de l’assurance-vie.
Une véritable stratégie
Comment expliquer cette bascule ? Sur un plan strictement arithmétique, dans l’épargne dite « standard » (les ménages gagnant entre 10.000 et 50.000 euros par an) les encours n’augmentent plus que très modestement ces dernières années. Ils passent de 715 milliards d’euros en 2010 à 758 milliards d’euros en 2016, soit en général moins de 10 milliards d’euros de croissance chaque année.

A l’inverse, l’assurance-vie « patrimoniale » (pour les foyers affichant un revenu fiscal compris entre 50.000 et 500.000 euros) voit son encours progresser rapidement : il s’affiche en effet à 583 milliards d’euros en 2016, contre 439 milliards d’euros en 2010. Même observation au-delà de 500.000 euros de revenus, dans le domaine de la gestion privée. Les encours de cette gamme de clientèle présentent, eux, une croissance encore plus forte de leurs encours, avec 167 milliards d’euros en 2016, contre 91 milliards en 2010.

Ces mouvements ne doivent rien au hasard. Ils résultent avant tout

de stratégies visant à limiter les flux de collecte sur les fonds en euros
(fonds garantis, qui voient leurs rémunérations diminuer ces dernières années, et coûteux en fonds propres pour les assureurs) – et par conséquent à faire monter le taux d’unités de compte (UC, des types de contrats non garantis, et placés sur des supports plus risqués et potentiellement plus rémunérateurs). Les UC donnent de fait plus de liberté aux assureurs dans leurs placements, et mobilisent moins de fonds propres.
Peur du risque
Or,

la clientèle populaire n’a qu’une appétence limitée pour le risque
, et les assureurs-vie ne parviennent que difficilement à la faire basculer sur des contrats en unités de compte. « Les assureurs-vie ne veulent plus de collecte sur les fonds euros et se ferment en conséquence à cette partie du marché. La clientèle populaire se tourne alors à nouveau vers le Livret A et l’épargne réglementée, et les opérateurs, eux, privilégient l’épargne patrimoniale et l’épargne de gestion privée », explique Cyrille Chartier-Kastler, président de Facts & Figures. A l’inverse, « l’assurance-vie haut de gamme est aujourd’hui le segment de marché sur lequel le taux d’UC est le plus élevé. C’est un secteur où se multiplient les innovations », afin d’inciter les clients à se placer sur ce type de contrats, souligne Cyrille Chartier-Kastler. En particulier, les UC permettent d’investir dans les organismes de placement collectif immobilier (OPCI), un placement actuellement très demandé.
Des stratégies qui conduisent l’assurance-vie à devenir, progressivement, le placement des plus riches. En flux, entre 2009 et 2016, l’épargne standard a perdu 10 milliards de collecte brute. Sur la même période, l’épargne patrimoniale, elle, en gagnait autant. « La collecte brute d’épargne patrimoniale, située à 48 milliards d’euros en 2016, tutoie désormais celle enregistrée en épargne standard », qui plafonne sous les 50 milliards d’euros par an, précise le baromètre Facts and Figures.

Les chiffres clefs 27 % le poids des unités de compte (UC)
dans la collecte brute globale de l’assurance-vie en 2017.

50,3 % la part de marché
de l’épargne dite « standard » dans le total des encours en 2016.
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