BERNARD SPITZ
Parmi les nombreuses conséquences du Brexit, figure l’évolution du paysage réglementaire et concurrentiel pour de nombreux secteurs, dont celui des assureurs français et européens. Et comme toujours, le diable se cache dans les détails.
La directive Solvabilité 2, qui régit le secteur européen de l’assurance, visait un système de régulation moderne, prenant en compte la diversité des marchés. Mais elle n’a pas réussi à réunir les conditions de viabilité à long terme des engagements financiers des assureurs. Il a donc fallu se mobiliser sans relâche auprès de la Commission pour se décider à la faire réviser.
Voilà précisément où le diable se niche : la période même de cette révision correspond aux deux ans du compte à rebours que déclenchera l’invocation – toujours repoussée – de l’Article 50 par le Royaume-Uni. Les Britanniques vont-ils participer à l’examen d’une directive et influer sur son sort sans que quiconque ne sache ni s’ils se l’appliqueront par la suite, ni quand, ni comment ?
Autant imaginer deux groupes de négociateurs sur deux escaliers mécaniques se déplaçant en sens inverse, tentant de parvenir à un accord pendant le moment où ils se trouveraient chacun à portée l’un de l’autre. Ce n’est ni efficace ni raisonnable ; et le mieux serait d’en tirer les conséquences, sur Solvabilité 2 comme dans toutes les autres situations similaires.
Comment ? Simplement en retenant le principe de bon sens selon lequel devraient se retirer des négociations concernant les règles futures de l’Union – sinon en observateurs – ceux qui seraient en situation de conflit d’intérêt. C’est du reste ce que le commissaire Hill – en charge des services financiers – a eu la sagesse de faire.
L’enjeu est de taille et le cas de l’assurance l’illustre de façon exemplaire. La Grande-Bretagne ne sera plus le premier marché dans l’Union européenne, avec 241 milliards d’euros de primes et un encours de 2.480 milliards d’euros d’investissements : ce sera la France, avec 197 milliards d’euros de primes et 2.140 milliards d’euros d’investissements, juste devant l’Allemagne (Insurance Europe, 2014).
Paris peut ainsi devenir demain pour l’assurance ce que Londres est aujourd’hui au secteur bancaire. Plus de 90 % des acteurs du marché français sont établis à Paris : entreprises petites et grandes, cotées et non cotées, mutuelles, banque-assureurs, réassureurs. On y trouve aussi des grandes écoles et des universités, des cabinets d’avocats spécialisés, etc. Et la France est à la pointe de la numérisation de l’assurance et de l’innovation juridique.
L’assurance est un secteur qui, contrairement à d’autres, demeure en grande partie de caractère national et local, le commerce transfrontalier étant l’exception plutôt que la règle. Les voix des assureurs français mais aussi allemands, italiens, néerlandais devront donc peser de tout leur poids sur les révisions qui détermineront l’avenir de Solvabilité 2, et sur les conditions dans lesquelles les assureurs britanniques seront autorisés à opérer sur le continent.
Sans surprise, les assureurs continentaux veilleront avant tout sur la préservation d’un « level playing field » assurant l’égalité de traitement et de pratiques entre le Royaume-Uni et l’UE, particulièrement en ce qui concerne Solvabilité 2, ainsi que le principe de « single market/single rulebook ». Parlons franc : il ne peut être question d’ouvrir l’accès libre à nos marchés sans certitude que les acteurs y joueront selon les règles acceptées par tous. Si les assureurs britanniques veulent opérer sur nos territoires selon les principes de la directive Freedom of Services, ils devront transposer tous les acquis communautaires.
En l’absence d’une telle garantie de « level playing field », l’UE ferait face à un risque de contagion à d’autres pays qui se mettraient à revendiquer les mêmes exceptions. Ce serait le pire message à donner aux eurosceptiques : celui qui mettrait en péril la réglementation financière existante et affaiblirait dangereusement toute autre réglementation à venir.
Fonte: