Aujourd’hui, c’est un immeuble classé, reconnu comme l’un des joyaux architecturaux de la City de Londres. Mais lorsqu’il a été inauguré par la reine en 1986, le siège social du marché de l’assurance Lloyd’s a été accueilli avec scepticisme. Le prince Charles, infatigable défenseur du patrimoine britannique, a même laissé entendre que le nouveau bâtiment faisait plus de dégâts dans l’antique quartier des affaires que les bombardements allemands de la Seconde Guerre mondiale ! Il est vrai que l’immeuble, il y a près de trente ans, détonnait dans le plus ancien secteur de la capitale britannique, à deux pas d’édifices plus que centenaires comme le Mansion House ou le Leadenhall Market.

Canalisations, ascenseurs, escaliers… tout est dehors

Son architecte, Richard Rogers, n’en était pas à son premier coup d’éclat. Il est aussi l’un des deux concepteurs du Centre Pompidou. L’immeuble du Lloyd’s est conçu sur les mêmes principes que le musée parisien, ouvert neuf ans plus tôt. Les canalisations d’eau et d’électricité, les douze ascenseurs vitrés, les escaliers, tout est situé à l’extérieur de ce bâtiment de verre et d’acier haut de 88 mètres – soit à peu près la hauteur des tours du Front de Seine dans le 15e arrondissement de Paris. « Rien n’est caché, tout est exprimé », a dit Richard Rogers à propos de son oeuvre.

Libéré de ces contraintes, l’intérieur du bâtiment est spacieux et les locaux peuvent facilement s’adapter en fonction des besoins de leur occupant, assure l’architecte. Une qualité importante pour le Lloyd’s, qui a dû changer quatre fois de siège au XXe siècle pour répondre à son évolution. Aéré et lumineux, l’immeuble s’organise autour d’un atrium rectangulaire de 60 mètres de haut, éclairé par une verrière semi-cylindrique. Les bureaux sont répartis sur douze étages autour de l’atrium.

L’Adam Room déménagé pièce par pièce

Le modernisme de l’architecture contraste singulièrement avec l’identité du Lloyd’s, l’une des plus vieilles institutions financières du monde, dont les origines remontent à 1688. Mais la firme a transporté un peu de son histoire et beaucoup de ses traditions dans son nouvel immeuble. A l’entrée du bâtiment, Richard Rogers a conservé le portail néoclassique d’un précédent siège social, datant de 1928. Au 11e étage, le conseil se réunit autour d’une table en acajou longue de dix mètres dans l’Adam Room, une salle à manger du XVIIIe siècle, déménagée pièce par pièce depuis l’ancien bâtiment du Lloyd’s qui se situait de l’autre côté de la rue.

 

La fameuse cloche, prise au vaisseau français la « Lutine » en 1793 au large de Toulon, a également fait le voyage. Elle trône au centre de l’atrium. Autrefois, on la sonnait lorsqu’il arrivait malheur à un navire assuré par le Lloyd’s. Cette tradition est encore en vigueur lors de catastrophes majeures ou d’événements malheureux. Elle a été sonnée le 11 septembre 2001, lors du tsunami asiatique de 2004, des attentats londoniens de juillet 2005 ou encore à la mort de la princesse Diana. Un peu plus loin, sur un pupitre, trône le livre des accidents. Les « waiters » du Lloyd’s, vêtus de leur redingote rouge et haut-de-forme noir, y consignent encore, à la plume d’oie, les naufrages.

Malgré ces éléments un peu folkloriques, l’immeuble est loin d’être un musée. Plus de six cents personnes y travaillent en permanence et un millier d’autres, employés des assureurs et réassureurs qui sont en affaire avec le Lloyd’s, y viennent régulièrement. Pendant la journée, en semaine, l’atrium, traversé d’escalators, est bouillonnant d’activité. 

Vincent Collen, Les Echos
Correspondant à Londres