Le piratage de trois dizaines de millions de données d’un site spécialisé dans les rencontres adultères d’un soir a suscité deux types de réaction. Des ligues de vertu s’en sont félicité : « Bien fait pour eux, ces mauvaises personnes n’avaient qu’à pas commettre ces actions immorales ! ». Des experts en informatique s’en sont ému : « Comment se fait-il qu’un site aussi sensible ait été aussi mal protégé ? »

Il est clair que la première de ces deux réactions est à côté du sujet, et pas seulement parce dans les sociétés laïcisées, une certaine conception de la morale privée ne peut fonder la loi publique générale. Le manque de pertinence de cette réaction vient de ce que le problème révélé par ce hacking géant est très grave indépendamment de la matière concernée. Si ce piratage avait touché des données personnelles bancaires ou médicales, les ligues de vertu n’auraient rien eu à dire alors que la gravité de la fuite aurait été au moins aussi préoccupante.

La réaction des techniciens est donc plus pertinente mais l’on s’étonne qu’elle ne soit guère venue des plus hautes autorités étatiques. Nous sommes là, en effet, face à l’un des défis les plus sérieux de la révolution Internet. Celle-ci, chacun en convient, est irréversible tant elle apporte de facteurs positifs dans tous les domaines. Mais le risque qu’elle introduise un « Big Brother » intrusif dans la vie privée, comme l’a montré le récent débat sur la loi antiterroriste, est réel et le risque qu’elle permette à des pirates, malveillants, escrocs ou maîtres-chanteurs de ravager la vie des gens est tout aussi réel, comme le montre cette affaire de fichiers d’adultères. Face à ces risques, on entend une aimable chansonnette des pouvoirs publics recommandant aux citoyens ce que les parents disent à leurs enfants : « Fais attention à ce que tu dis de toi à tes copains sur les réseaux sociaux. »

En revanche, lorsque des institutions spécialisées comme la CNIL ou le Défenseur des droits demandent une protection nettement renforcée des fichiers informatiques, on les soupçonne de ringardise. Elles ont en réalité raison de soutenir que la puissance communicative d’Internet doit être équilibrée par une technologie de même puissance assurant la protection de la vie privée.