Sharon WajsbrotLionel SteinmannLaurent Thévenin

Les actionnaires de l’assureur préparent l’opération, sur fond de démission du directeur général de la CNP. Un projet qui entraînera le passage de La Poste dans le giron de la Caisse des Dépôts.
Les mois à venir s’annoncent intenses pour CNP Assurances. Annoncée mercredi soir,
la démission – officiellement « pour raisons personnelles » – de son directeur général, Frédéric Lavenir, préfigure un mouvement beaucoup plus vaste autour du premier assureur de personnes français.

Suspendues ces derniers mois, pour ne pas interférer avec la réforme ferroviaire, les négociations entre La Poste et la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) sur le sort de CNP ont repris de plus belle ces dernières semaines. Et elles devraient s’intensifier dans les semaines qui viennent. La CDC détient 40,8 % du capital de CNP, une participation qui vaut aujourd’hui 5,4 milliards d’euros en Bourse. La Banque Postale est l’un des grands réseaux de distribution de l’assureur en France et son actionnaire à hauteur de 18 %, comme le groupe BPCE.
L’opération, attendue de longue date, passerait par un rapprochement de CNP Assurances avec la filiale de La Poste, afin de former un véritable bancassureur parapublic. Dans un tel schéma, CNP Assurances deviendrait une captive de La Banque Postale. Et la CDC monterait en contrepartie au capital de La Poste, dont elle détient déjà 26,32 %.
A la tête de la compagnie d’assurances depuis septembre 2012, Frédéric Lavenir a, lui, toujours défendu le modèle actuel de CNP Assurances, qui fabrique des contrats pour plusieurs réseaux sans être détenu en propre par l’un d’eux. « Pour que l’entreprise puisse prendre un nouvel élan, comme celui pris avec moi il y a six ans, il faut un nouveau dirigeant, libre de tout choix passé, prêt à explorer de nouveaux chemins », explique le dirigeant dans une lettre adressée aux salariés et dont « Les Echos » ont obtenu une copie.

Eric Lombard à la manoeuvre
Sur ce dossier, le directeur général de la CDC, Eric Lombard, est à la manoeuvre. « Il a reçu explicitement dans sa feuille de route la mission de rapprocher la CDC de La Poste », rappelle un proche de l’institution. Les modalités selon lesquelles ce Meccano® financier va être mené se précisent. Selon nos informations, la commission de surveillance de la Caisse des Dépôts, son organe de vigie parlementaire, est convoquée la semaine prochaine pour un « séminaire d’information » sur le sujet. Autrement dit, l’exécutif est prêt à amener la question de l’évolution du capital de La Poste devant les élus du Parlement. L’avenir de La Poste est crucial pour les élus et, au sein de la commission de surveillance de la CDC, bon nombre d’entre eux mettent en avant la « logique industrielle » de ce rapprochement, qui pourrait « faire du sens du point de vue du service public ». Le sujet sera toutefois regardé de très près, car CNP Assurances représente un des premiers contributeurs aux résultats de la Caisse des Dépôts. « Nous devons nous assurer que la CDC soit toujours en mesure de générer des profits pour protéger les avoirs qui lui sont confiés par les Français », fait valoir un membre de cette commission.


L’Etat devient actionnaire minoritaire

Le pacte d’actionnaires de CNP Assurances court jusqu’à fin décembre 2019. La tournure des discussions dépendra aussi de l’attitude de BPCE. Le groupe bancaire qui réunit les Banques Populaires et les Caisses d’Epargne est reparti sur de nouvelles bases commerciales avec l’assureur depuis début 2016. Mais il classe désormais sa participation à son capital dans son pôle « hors métiers », signe que celle-ci n’est plus considérée comme stratégique.
Philippe Wahl, le PDG de La Poste,
milite depuis des années pour cette opération
. Il a manifestement eu gain de cause. « Le principe de l’opération est acquis, confirme une source. Mais il faut caler les modalités. » Aucune annonce n’est d’ailleurs attendue au prochain conseil d’administration, le 31 juillet. Au passage, l’entreprise publique devrait changer d’actionnaire de référence : en contrepartie du rapprochement de CNP Assurances et de La Banque Postale, la CDC devrait monter substantiellement au capital de La Poste, avance un proche du dossier. Ce qui ramènerait l’Etat au rang d’actionnaire minoritaire.

En termes de symboles, une vraie révolution, même si la CDC a un ancrage très fort dans la sphère publique. Ce passage de l’Etat en dessous du seuil des 50 % du capital nécessite un amendement législatif, qui pourrait, selon nos informations, intervenir lors de l’examen du projet de loi Pacte. Sollicitée par « Les Echos », La Poste n’a pas souhaité s’exprimer.


Frédéric Lavenir laisse un groupe d’assurances transformé

L. T.
En six ans, le directeur général sur le départ aura fait évoluer le modèle d’affaires de CNP Assurances.
Sa démission, annoncée mercredi soir, comme sa nomination, il y a presque six ans, auront été des surprises. Candidat inattendu et de dernière minute au poste de directeur général de CNP Assurances à l’été 2012, Frédéric Lavenir va quitter ses fonctions le 31 août en laissant un groupe profondément transformé.
Quand il est arrivé, cet inspecteur des finances venu de BNP Paribas a dû s’atteler à ajuster le modèle du premier assureur de personnes français pour faire face à l’environnement de taux bas. Une nécessité d’autant plus grande pour un énorme collecteur d’assurance-vie en euros, qui réalisait alors 80 % de son chiffre d’affaires en France. Sous sa houlette, CNP Assurances va pousser les feux sur les produits à plus fortes marges (assurance-vie en unités de compte, prévoyance protection). Il fera de même à l’étranger, avec comme accélérateur de cette stratégie l’acquisition, en 2014 auprès de Banco Santander, des filiales d’assurance de Santander Consumer Finance, couplée à un accord de distribution exclusif dans dix pays européens, dont l’Allemagne.
« Frédéric Lavenir a impulsé une dynamique qui commence à délivrer des résultats tangibles », juge un analyste. En 2017, le chiffre d’affaires a ainsi progressé de 42 % sur l’épargne retraite en unités de compte et de 12 % en prévoyance protection, avec un taux de marge sur affaires nouvelles en nette augmentation, à 23,6 %. CNP Assurances avait par ailleurs dégagé un résultat net en hausse de 7 %, à 1,28 milliard d’euros. Les investisseurs auront aussi retenu l’amélioration du coefficient d’exploitation, tombé à 30,8 %, contre 32,9 % en 2016, avec des frais de gestion en baisse de 2,6 % en France.
Au terme d’une partie serrée, Frédéric Lavenir aura aussi sauvé les meubles dans la renégociation des accords commerciaux avec BPCE, l’un des deux grands réseaux de distribution de l’assureur en France avec La Banque Postale. Depuis le 1er janvier 2016, CNP Assurances a certes perdu la production nouvelle des contrats d’assurance-vie vendus aux guichets des Caisses d’Epargne et réinternalisée par le groupe bancaire chez sa filiale Natixis Assurances. Mais il aura réussi à obtenir un partenariat en assuranceemprunteur sur l’ensemble des réseaux de BPCE, ainsi que des accords en prévoyance individuelle. Plus largement, Frédéric Lavenir aura essayé d’étendre toujours plus le modèle multipartenarial de CNP Assurances.
Ces dernières années, l’assureur a par ailleurs continué à se développer tambour battant au Brésil, son premier marché à l’international et un vrai moteur de croissance, avec par exemple de petites acquisitions ou le lancement, en 2016, d’une plate-forme 100 % digitale baptisée « Youse ». Mais, selon un expert du secteur, il y a comme « un parfum d’inachevé avec un gros point d’interrogation sur la poursuite de la success story au Brésil ». Alors qu’il était un temps prévu qu’elles aboutissent en début d’année, les discussions sur le renouvellement de son partenariat de distribution exclusif avec son partenaire local Caixa Seguridade ne sont toujours pas terminées. Celles-là viennent même encore d’être prolongées, a annoncé le groupe brésilien dans un communiqué publié la semaine dernière, sans qu’aucune indication ne soit donnée sur le calendrier.

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