Ne leur parlez pas de taux bas. Pour un assureur-vie, il n’y a rien de pire qu’une période prolongée de taux d’intérêt bas. D’après une étude réalisée par le Boston Consulting Group et AXA Investment Managers, c’est même la principale préoccupation des directeurs des investissements des compagnies d’assurances en Europe. Une telle situation bride leurs revenus financiers – surtout quand elles vendent majoritairement des contrats en euros adossés à des obligations – et les oblige à trouver d’autres placements plus rémunérateurs.

La situation est plus contrastée pour les banquiers : la période actuelle est synonyme de ressources financières bon marché sur les marchés comme sur les dépôts des épargnants, qu’elles peuvent se permettre de moins rémunérer. «  Mais les marges dégagées sur les activités de crédit et de financement sont plutôt écrasées dans cet univers de taux anormalement bas », souligne Alain Branchey, analyste chez Fitch. Banquiers et assureurs peuvent donc avoir intérêt à une remontée des taux. A condition toutefois qu’elle ne soit pas trop brutale.

Le scénario idéal : une remontée en douceur

Une remontée progressive des taux «  est satisfaisante parce qu’elle relève mécaniquement le rendement des portefeuilles des assureurs », explique Antoine Lissowski, directeur général adjoint de CNP Assurances. Cela leur permet de « vendre progressivement les obligations moins rémunératrices, sans trop de pertes immédiates, pour en racheter d’autres offrant un taux d’intérêt plus élevé », complète Christophe Eberlé, président de la société en actuariat conseil Optimind Winter. Le marché s’est d’ailleurs ménagé des marges de manoeuvre. «  Ces derniers temps, pas mal d’assureurs ont préféré garder une part importante de monétaire et diversifier leurs placements plutôt que d’investir sur des obligations qui ne rapportent pas grand-chose », souligne Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du site GoodValueforMoney.

Pour les banquiers aussi, «  une remontée des taux serait une bonne nouvelle, à condition qu’elle ne soit pas violente et qu’elle s’accompagne d’une “pentification” de la courbe des taux (les taux longs restent supérieurs aux taux courts) », souligne Alex Koagne, analyste chez Natixis. Cela permettrait aux banques de creuser l’écart entre les rémunérations offertes aux épargnants et les taux des crédits distribués. Elles réaliseraient de plus fortes marges sur leurs métiers de financement.

Une hausse trop rapide des taux pourrait tourner au scénario catastrophe. « Compte tenu des circonstances de marché, certains franc-tireurs pourraient en profiter pour ouvrir de nouveaux fonds plus rémunérateurs. Les épargnants pourraient alors être tentés de fermer leurs contrats pour y placer leur épargne », décrit Cyrille Chartier-Kastler. Ces rachats en nombre feraient courir un grand danger pour les assureurs. D’autant, souligne Christophe Eberlé, que «  les méthodes de protection contre des rachats massifs ne fonctionnent que jusqu’à un certain point ».

Côté bancaire, une hausse brutale «  se répercuterait au bilan via un risque de défaillance accru des créanciers compte tenu de la faiblesse de l’activité », souligne Cyril Blesson, associé chez PAIR Conseil. Le coût du refinancement grimperait sur les marchés, mais, dans un tel climat, les épargnants chercheraient des placements liquides comme des livrets, ce qui constituerait pour partie une ressource pour la banque.

Laurent Thévenin
et Edouard Lederer