Solveig Godeluck

La ministre de la Santé présente sa feuille de route sur la santé mentale, des pathologies qui concernent 7 millions de Français. L’Assurance-maladie pointe un « sur-risque » de maladie et propose de revoir le financement des établissements psychiatriques.
Près de 23 milliards d’euros de dépenses en 2016 et 7 millions de Français concernés : le rapport annuel de l’Assurance-maladie, présenté à son conseil ce jeudi, se penche sur l’impact économique et sanitaire des problèmes de santé mentale. C’est le deuxième poste de remboursements. Du fait du vieillissement et d’un meilleur repérage, les dépenses ont crû de 1,7 milliard en cinq ans. Les auteurs avaient été surpris l’année précédente par le poids de la santé mentale. En 2018, ils ont cherché à comprendre pourquoi ces maladies coûtent si cher et comment mieux les prendre en charge.

Concomitamment, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a présenté jeudi sa feuille de route « santé mentale et psychiatrie », six mois après l’annonce de
douze mesures d’urgence pour la psychiatrie. L’accent est mis sur la prévention et les bonnes pratiques, par exemple pour repérer le burn-out des étudiants en santé ou des soignants en Ehpad. Mais la feuille de route ouvre également la voie à une révision du mode de financement des hôpitaux psychiatriques, avec un budget psychiatrie « préservé » à partir de 2018. L’objectif est de réduire les inégalités entre établissements et territoires, avec des écarts qui vont de 3.200 euros par patient en Meurthe-et-Moselle à… 14.500 dans l’Indre.

Surmortalité inquiétante
Justement, l’Assurance-maladie a des propositions à faire sur la tarification des établissements, qui est l’un des axes de la
transformation du système de santé prônée par l’exécutif. Elle a constaté que les 2,1 millions de personnes diagnostiquées pour une pathologie psychiatrique cumulaient les risques : plus précaires, exposées au tabac ou à la drogue, sédentaires, elles tombent plus souvent malades. Le risque d’accident cardio-vasculaire puis de séquelles d’AVC est plus que doublé par rapport au reste de la population. Dépressifs, psychotiques, troubles de l’addiction ou déficients mentaux ont de 2 à 5 fois plus de probabilité de faire une embolie pulmonaire aiguë.

L’étude de la surmortalité est tout aussi inquiétante. En additionnant les malades « psy » et les 5,1 millions de personnes qui consomment de façon chronique des médicaments psychotropes, on constate un taux de mortalité 2,6 fois plus élevé que dans la population générale. Mourir avant 65 ans est 4 fois plus fréquent chez les névrotiques et les psychotiques, avec 10 % de décès par suicide.
Ce « sur-risque » tient aussi au fait que, le monde de la psychiatrie fonctionnant en vase clos, on en oublie de soigner les corps. C’est pourquoi la feuille de route d’Agnès Buzyn insiste sur la nécessité que chaque malade « psy » ait son médecin traitant. Quant à l’Assurance-maladie, elle propose une modulation de la dotation annuelle de financement des établissements psychiatriques en fonction de la fréquence et de la gravité des pathologies somatiques prises en charge.

Moins d’antidépresseurs
Par ailleurs, elle suggère de modifier à nouveau les critères de la rémunération sur objectifs de santé publique des médecins libéraux, afin de les inciter à prescrire moins d’antidépresseurs. En effet, parmi les 950.000 personnes consommant ces psychotropes, 70 % le font durant moins d’un an. « Beaucoup de ces cas correspondent à des épisodes dépressifs légers pour lesquels le traitement médicamenteux ne doit pas être systématique et une psychothérapie est recommandée en première ligne », écrit l’Assurance-maladie, tout en reconnaissant le problème que pose le non-remboursement de ces psychothérapies.


Deux milliards d’économies prônées pour 2019

S. G.

Prescriptions, chirurgie ambulatoire, biologie, consultations paramédicales, transports sanitaires : l’effort de maîtrise médicalisée des dépenses s’intensifie.
Toujours plus d’économies. Pour 2019, l’Assurance-maladie vise un effort de 2 milliards d’euros. Il ne s’agit pas d’une réduction nette des coûts, mais d’un coup de frein sur leur progression : il est normal que les besoins augmentent, puisque la population croît et vieillit. Comme chaque année, les économies projetées sont à chaque fois un peu plus ambitieuses (
70 millions de plus
), mais sans garantie de résultat.

L’objectif de maîtrise « médicalisée » des dépenses (qui passe par les changements dans la pratique des soignants) a certes été réalisé l’an dernier, selon l’Assurance-maladie, soit 700 millions d’économies. Mais le comité d’alerte pour le respect de l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie a prévenu, le mois dernier, que certaines économies prévues en 2018 risquaient de ne pas être au rendez-vous, notamment sur les indemnités journalières et les transports sanitaires.
Avec son plan d’action, l’Assurance-maladie se garde bien d’empiéter sur les plates-bandes du gouvernement, qui négocie de son côté des accords prix-volumes avec les laboratoires pharmaceutiques et fixe les tarifs des établissements de soins. C’est la conjugaison de tous ces coups de serpe dans les dépenses qui permet d’afficher
4 milliards d’euros d’économies
chaque année dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

Maîtrise des prescriptions et chirurgie ambulatoire
Parmi les grands postes d’économies du ressort de l’Assurance-maladie figure la maîtrise des prescriptions de produits de santé. Le gain projeté s’élève à 465 millions d’euros sur les médicaments qui ne seront plus prescrits pour éviter les interactions, ou bien parce que leur efficacité aura été revue à la baisse. La politique de diffusion du générique et du biosimilaire à la place des traitements classiques doit rapporter 160 millions d’euros ; la gestion des entrées et sorties dans la liste en sus des hôpitaux (médicaments innovants et onéreux), 100 millions.
Autre grand chapitre des politiques publiques de santé, la pertinence des prises en charge, via la réduction du nombre de nuits passées à l’hôpital. Le taux de « chirurgie ambulatoire » – intervention réalisée dans la journée – doit progresser de 3 points par an pour atteindre 70 % à la fin du quinquennat. En 2019, il faudra frôler 58 %. Cela doit permettre d’économiser 200 millions d’euros.
Par ailleurs, en 2019, le tribut payé par les entreprises de transports sanitaires s’alourdira de 15 millions, à 175 millions ; celui des biologistes de 65 millions, à 95 millions, et celui des professions paramédicales de 20 millions, à 120 millions. Mais la cible demeure la même, 100 millions d’euros, en ce qui concerne les arrêts de travail, ou la lutte contre la fraude, 220 millions.

Cancer du sein : un bonus-malus préconisé pour favoriser la qualité des soins
S. G.
L’Assurance-maladie propose dans son rapport annuel d’introduire une composante « qualité » dans la rémunération des chirurgiens qui opèrent un cancer du sein.
Il faut fermer les services hospitaliers dont le volume d’activité est insuffisant pour garantir la qualité des soins. Si le principe est admis, la mise en oeuvre sur le terrain est plus délicate : à partir de quand un établissement est-il dangereux ? Peut-on déroger au seuil d’activité ? Tout ce qui risque de mener à une fermeture est sujet à discussion.
L’Assurance-maladie a trouvé une méthode pour que les services trop petits s’éteignent d’eux-mêmes. Dans son rapport annuel, dévoilé ce jeudi, elle propose d’expérimenter une réduction de la tarification à l’acte du chirurgien qui opère un cancer du sein ou de l’ovaire. Les sommes ainsi économisées serviraient à créer un nouveau module de rémunération basé sur la « qualité prouvée pour la prise en charge ». Ce qui équivaut à créer un bonus pour les équipes de soins performantes… Et un malus pour celles qui ne sont pas au niveau.
Mortalité postopératoire
Comment en arrive-t-on à fermer les services dont l’activité est la plus faible ? Faute de personnel et d’équipements, ces établissements soignent moins bien que les autres. C’est inévitable. S’il faut aller faire une IRM ou une injection à des kilomètres, on perd un temps parfois précieux pour la survie, en prise de rendez-vous, en déplacement, en coordination. De plus, comme les chirurgiens présents sur place n’ont pas pu opérer suffisamment de patients, ils ont moins d’expérience et d’habileté.
Cela se vérifie dans les données du système de santé. Les établissements en dessous du seuil recommandé de 30 interventions par an mènent beaucoup moins de réunions de concertation pluridisciplinaires que la moyenne. De plus, les chirurgiens y sont plus prompts à enlever toute la chaîne ganglionnaire, alors qu’une ablation partielle suffit parfois. En 2014, le taux de mortalité y est de 32 % dans l’année suivant l’opération, contre 14 % dans les grands services, ceux qui pratiquent plus de 100 interventions par an.
L’Assurance-maladie parie donc sur le fait que les chirurgiens iront chercher du travail ailleurs, là où ils pourront maximiser leur rémunération, plutôt que de maintenir en survie artificielle des services trop petits.
Cette expérimentation, potentiellement reproductible dans l’ensemble de la chirurgie obstétrique, est en outre une alternative à la rémunération à l’acte. Les pouvoirs publics cherchent à développer ce champ, puisque Emmanuel Macron a promis de
diversifier les modes de financement à l’hôpital
, en récompensant davantage la qualité des soins.

Par ailleurs, l’Assurance-maladie propose de relever le seuil d’activité de 30 à 150 interventions par an pour le cancer du sein, comme en Allemagne, en Espagne, en Italie. Toutefois, les seuils ne devraient plus s’appliquer comme aujourd’hui à des sites isolés, mais à des services pouvant fonctionner en réseau, sur plusieurs sites. Seul bémol, les pratiques ne vont pas forcément évoluer aussi vite que la règle du jeu. Pour preuve, en 2014, un tiers des établissements ayant pris en charge l’une des 45.000 femmes opérées pour un cancer du sein réalisaient moins de 30 interventions par an et, parmi ces services, un tiers étaient malgré tout autorisés à opérer.

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