Solenn Poullennecet Laurent Thévenin
Bercy veut relancer le contrat d’assurance-vie euro-croissance et rendre l’épargne retraite plus attractive. C’est un projet ambitieux au regard des habitudes d’épargne des Français.

Les règles du jeu vont encore changer pour les épargnants. Six mois après avoir remis à plat la fiscalité des placements financiers, le gouvernement a détaillé lundi dernier une réforme des produits d’épargne

dans le cadre du projet de loi Pacte

avec le double objectif de favoriser le développement de l’épargne retraite et de faire enfin émerger un contrat d’assurance-vie alternatif aux supports existants. Reste à savoir si les modalités de la réforme sont de nature à changer les habitudes d’épargne des Français.

L’épargne retraite est-elle vraiment simplifiée ?

Plutôt que de laisser les épargnants se perdre dans

le maquis des dispositifs d’épargne retraite

, la loi Pacte propose d’instaurer trois types de produits. Elle distingue d’abord un produit d’épargne retraite individuel (successeur du PERP et du Madelin). Viennent ensuite deux produits collectifs. Le premier, à l’image de l’actuel Perco, a vocation à être proposé à l’ensemble des salariés d’une entreprise et à être abondé par l’épargne salariale. Le second sera proposé à certaines catégories de salariés. « On complique sous couvert de simplification », tacle Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Epargne, notant qu’il peut y avoir une fiscalité différente selon le mode d’abondement d’un produit. « La simplification est vraiment là », juge au contraire David Charlet, président de l’Anacofi, une organisation qui représente notamment des conseillers en gestion de patrimoine.

La flexibilité promise dopera-t-elle l’épargne retraite ?

C’est le pari du gouvernement. Pour rendre l’épargne retraite plus séduisante, il promet la transférabilité totale des avoirs entre les supports. Surtout, il assure que les épargnants pourront toucher les sommes placées par leurs soins ou issues de l’épargne salariale sous la forme d’un capital et non d’une rente. « Le comportement des épargnants dépendra de la différence de traitement fiscal applicable aux sorties en rente et en capital, qui sera déterminée en loi de finances », note prudemment l’étude d’impact de la loi Pacte. Mais, « quand on demande aux particuliers ce qui les rebute dans l’épargne retraite,

ils disent que c’est l’illiquidité et la sortie en rente

», assure Cyril Blesson, associé du cabinet Pair Conseil. A ses yeux, la possibilité de sortir en capital pourrait donc « changer un peu la donne ». Elle est « de nature à lever ex ante une part de l’inhibition à placer sur des produits d’épargne retraite. Cependant, cela ne devrait pas être suffisant du fait d’un blocage à très long terme », estime notamment Alain Tourdjman, directeur des études chez BPCE.

Certains produits d’épargne retraite seront-ils gagnants ?

« Le Perco [ou son équivalent futur, NDLR] pourrait être le fer de lance du développement de l’épargne retraite », estime Alain Tourdjman. Déjà en développement, ce produit collectif devrait bénéficier d’un coup de pouce fiscal. Bercy a en effet suggéré que, à l’occasion des prochaines discussions budgétaires, il généralisera la possibilité de déduire les versements dans l’épargne retraite de l’impôt sur le revenu. Ce produit pourrait aussi bénéficier des

mesures de la loi Pacte en faveur des plans d’épargne salariale.

Celles-ci prévoient d’alléger les charges liées à ces plans pour les PME (avec la suppression du forfait social dans certains cas). Avec cette mesure, « l’épargne des Français va se constituer de plus en plus dans l’entreprise », assure Jérôme Dedeyan, associé de la société Eres.

L’assurance-vie va-t-elle être concurrencée ?

« Il y aura probablement une plus grande compétition avec l’assurance-vie », avance Jérôme Dedeyan : « Avec la réforme, l’épargne retraite comportera des options de sortie aussi souples que l’assurance-vie et un avantage fiscal à l’entrée que n’a pas cette dernière. Il y aura par ailleurs un effet d’offre avec des acteurs qui vont mettre plus en avant ces produits et proposer des innovations. » Pour autant, « tant que l’assurance-vie garde son avantage successoral, elle ne sera pas cannibalisée », estime le professionnel. D’autant que l’épargne retraite reste très peu développée au regard de l’assurance-vie (environ 220 milliards d’euros d’encours contre 1.700 milliards d’euros).
L’euro-croissance va-t-il enfin décoller ?

Desservi à la fois par sa complexité et le contexte de taux bas, l’euro-croissance

n’a pas rencontré le succès attendu depuis son lancement en 2014. Bercy veut relancer, en le simplifiant, ce produit d’assurance-vie à mi-chemin entre le fonds en euros et les supports en unités de compte. Le principe reste le même : la garantie du capital n’est délivrée qu’au bout de huit ans minimum afin de permettre à l’assureur d’aller chercher un surcroît de performance. Mais, et c’est la nouveauté, l’euro-croissance servira à l’avenir un rendement « unifié et lisible pour tous les épargnants », là où ce produit se présente actuellement sous la forme de deux compartiments valorisés de manière différente. « Ce sera une bonne chose, car la promesse client proposée par l’euro-croissance ne lui permet pas actuellement de se différencier positivement des alternatives classiques pour l’épargnant, comme le fonds euros », estime Christophe Eberlé, président de la société de conseil en gestion des risques Optimind. Selon lui, l’objectif fixé par le gouvernement de multiplier par dix les encours en deux ans pour atteindre 20 milliards d’euros est « tout à fait jouable ».

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