La généralisation du tiers payant prévue pour 2017 par la loi santé votée le 14 avril dernier constituera l’une des grandes naïvetés du quinquennat de François Hollande. Comme jadis, sous François Mitterrand, l’abaissement de la retraite à 60 ans (alors que les prévisions démographiques laissaient attendre un déséquilibre de nos régimes en répartition), et l’introduction des 35 heures (quand notre croissance avait déjà fléchi), la généralisation du tiers payant est un non-sens. Pour autant qu’il existe déjà des dispositifs adaptés pour les ménages modestes, la généralisation du tiers payant aura pour conséquence probable d’accélérer la croissance de nos dépenses d’assurance-maladie au moment où leur maîtrise devient de plus en plus nécessaire.

Avec la généralisation du tiers payant, nous en venons à l’ultime mise en oeuvre de l’aphorisme bien connu : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins », qui a beaucoup inspiré la générosité de notre Etat providence en 1945. Dorénavant, en matière de santé, non seulement les besoins devront être couverts, mais aucune avance de la part des bénéficiaires ne sera requise. Ce qu’on sait moins, c’est que cet aphorisme est tiré d’une utopie du jeune Marx : dans une économie débarrassée de l’exploitation capitaliste, la productivité des travailleurs augmentera tellement que la rareté disparaîtra dans la phase ultime du communisme. L’Histoire s’est chargée de faire litière de cette vision des choses. En France, l’application de ce principe n’a été possible, au cours des dernières décennies, qu’au prix de l’apparition d’un passif de plus en plus important : en 2013, le passif de la Sécurité sociale s’élevait à 133 milliards d’euros, soit 12 % de notre dette publique, en croissance de 16 % par an au cours des dix dernières années. La conception de l’universalité, qui inspire encore l’ensemble de notre protection sociale, doit donc être sérieusement revue.

S’agissant des dépenses publiques liées à la santé, au-delà des divers ajustements plus ou moins « cosmétiques », des pistes de réforme « systémique » ont pourtant été proposées. En septembre 2007, Raoul Briet et Bertrand Fragonard, de la Cour des comptes, proposaient de faire supporter par les bénéficiaires le reste à charge des dépenses santé jusqu’à un certain montant qui pouvait être une proportion de leur revenu. En Allemagne, depuis 2004, les différentes franchises de l’assurance-maladie sont supportées par les assurés dans la limite de 2 % de leur revenu. L’équilibre financier de l’assurance-maladie est alors aisément atteint.

Tout récemment, le problème a rebondi avec une étude de la Direction générale du Trésor, qui envisageait, jusqu’à un certain niveau de dépenses, de supprimer l’exonération du ticket modérateur de 30 % pour les dépenses liées aux affections de longue durée, les ALD. Le coût actuel de cette exonération est de quelque 12 milliards d’euros, mais, compte tenu du vieillissement de notre population, il pourrait atteindre 17 milliards en 2025. En Allemagne, le plafond des franchises supportées par les assurés atteints de maladies graves est abaissé à 1 % du revenu au lieu de 2 ; mais si le reste à charge est réduit dans ce cas, il n’est donc pas pour autant supprimé.

Du point de vue de la redistribution, une nouvelle répartition du reste à charge faisant intervenir les revenus aurait en effet l’avantage d’en accroître l’efficacité tout en réduisant progressivement les prélèvements obligatoires. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : passer, à l’horizon d’une décennie, de 46 % du PIB de prélèvements obligatoires aujourd’hui aux environs de 40 %, ce qui est la moyenne européenne, tout en conservant un niveau acceptable de redistribution. Le recul de 6 points des prélèvements obligatoires contribuerait évidemment à la relance de notre économie. La place occupée dans ce reflux par la maîtrise des dépenses publiques de santé pourrait être très significative.

Certes, les 10 % ou 20 % des ménages les plus aisés supporteront une part plus importante qu’aujourd’hui de leurs dépenses de santé, mais avec un certain décalage (il faudra bien résorber le passif) ; contribuables importants, ils seront aussi les premiers bénéficiaires de l’indispensable diminution des prélèvements obligatoires.

André Babeau