Laurent Thévenin
A l’image d’Axa, qui vient de débourser 15,3 milliards de dollars pour racheter la compagnie des Bermudes XL groupe, les regroupements s’accélèrent dans l’assurance comme dans les mutuelles. Une façon de s’armer face au durcissement de la concurrence, – notamment celle des banques, voire des Gafa – et de la réglementation.

Les 15,3 milliards de dollars mis sur la table début mars par AXA pour s’offrir XL Group
, une compagnie basée aux Bermudes, monopolisent l’attention dans le secteur de l’assurance. Le groupe tricolore renoue ainsi avec ses gros coups des années 1990 et 2000 – les rachats de l’UAP, puis du suisse Winterthur. Mais aussi exceptionnelle soit-elle, cette transaction ne doit pas occulter le fait qu’une partie tout aussi importante se joue en ce moment dans le monde de l’économie sociale entre mutuelles santé, assureurs mutualistes très développés en auto et habitation, et groupes de protection sociale.

Depuis quelques mois, les cartes se rebattent à une vitesse folle avec des annonces de projets de regroupement ou de rapprochement en pagaille.
AG2R La Mondiale, le premier groupe de protection sociale français, et la Matmut
doivent ainsi constituer un nouvel ensemble au 1er janvier 2019.
La Macif et Aesio
, le groupe formé il y a moins de deux ans par les mutuelles santé Adréa, Apréva et Eovi MCD, veulent s’unir en 2020. En mars, les groupes de protection sociale
Malakoff Médéric et Humanis
sont à leur tour entrés dans la danse en annonçant étudier un rapprochement de leurs activités de retraite complémentaire et d’assurance de personnes. Autant d’opérations phares dans un secteur qui aura déjà vu l’émergence en septembre 2017 d’un nouveau champion de l’assurance santé,
le groupe Vyv, construit par Harmonie Mutuelle et la MGEN,
les deux plus grandes mutuelles françaises.

Ce phénomène de consolidation n’est certes pas nouveau. En 2006, il y avait encore plus de 1.150 mutuelles santé, d’après les données de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Dix ans plus tard, il en restait moins de 450. Mais ce qui frappe aujourd’hui, c’est le changement d’échelle. Naguère, la consolidation impliquait avant tout des petites ou des moyennes mutuelles, qui fusionnaient entre elles ou se jetaient dans les bras d’opérateurs plus importants. Désormais, les mariages se font entre grands.
Les raisons ne manquent pas pour justifier cette course à la taille. Il s’agit de s’armer face à un environnement toujours plus contraignant et menaçant. La réglementation – en premier lieu, la directive européenne Solvabilité II – très exigeante en matière de « reporting », ne cesse de s’alourdir. Mais, surtout, la pression concurrentielle a atteint un degré inouï –
les filiales d’assurance des banques
, notamment -, font figure d’épouvantails. La récente généralisation de la complémentaire santé d’entreprise (issue de l’accord national interprofessionnel de janvier 2013) n’a fait qu’exacerber la compétition. Et de nouveaux nuages se profilent à l’horizon, entre l’apparition des « assurtech », ces start-up qui veulent se faire une place en exploitant les failles des opérateurs traditionnels, et
l’intérêt, réel ou supposé, des Gafa – Amazon en tête – pour l’assurance
.

« La consolidation peut être une réponse pour résister à l’écrasement des marges et à la perte de relais de croissance », fait valoir Olivier Arroua, associé fondateur du cabinet de conseil Selenis. « Il y a aussi un besoin de globalisation et de diversification pour les acteurs de la protection sociale », ajoute-t-il. Sur des marchés si disputés, l’enjeu est de pouvoir offrir toute la gamme de produits d’assurance (dommages, santé, prévoyance, épargne, etc.), pour les particuliers comme pour les entreprises. Avec une double visée : développer son chiffre d’affaires et multi-équiper les clients – ce qui est un moyen de les fidéliser davantage.
Derrière ces opérations, il y a aussi l’objectif d’économies d’échelle ainsi que la volonté de se doter d’une surface financière plus grande et de nouvelles expertises pour passer le cap de la digitalisation très coûteuse en investissements. Sans compter qu’il devient de plus en plus crucial d’arriver à se différencier en proposant de nouveaux services aux clients au-delà de la promesse d’indemnisation vendue dans le contrat.
Tout n’est cependant pas gagné d’avance. « Les rapprochements sont souvent intelligents sur le papier mais assez compliqués d’un point de vue culturel et opérationnel. Dans le monde de la protection sociale, beaucoup de fiançailles et d’annonces de mariages ne se concrétisent pas », fait observer le consultant Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du cabinet Facts & Figures. Le pôle mutualiste formé en 2009 par la Maif, la Macif et la Matmut a ainsi fini par
voler en éclat
quelques années plus tard. Autre échec retentissant, l’abandon en mai 2016 du projet de rapprochement entre Malakoff Médéric et La Mutuelle Générale enclenché en 2015.

Ces deux épisodes rappellent la particularité des rapprochements dans l’économie sociale. Contrairement aux fusions-acquisitions classiques entre sociétés capitalistiques, ils ne se font pas en sortant le carnet de chèques. Les acteurs mutualistes, qui sont des sociétés « de personnes », pas plus que les groupes paritaires de protection sociale, cogérés par le patronat et les syndicats, ne peuvent faire l’objet d’une OPA ou d’une vente. Comme il ne s’agit pas de situations dans lesquelles un groupe en rachète un autre, les questions d’ego ou les calculs politiques peuvent parfois prendre le dessus sur la rationalité économique des projets de regroupement, parfois jusqu’à les faire capoter.
La recomposition du paysage de l’économie sociale devrait dans tous les cas se poursuivre. Sans que cette lame de fond n’emporte forcément tout sur son passage. De nombreux groupes n’ont en effet aucune envie de sacrifier leur indépendance. Parmi ces irréductibles,
la Maif tient à « sa stratégie d’autonomie et de singularité »
. Mais le groupe niortais est un assureur riche qui a réussi à se constituer une clientèle ultra-fidèle. Tout le monde ne peut évidemment pas se permettre un tel luxe…
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