LAURENT THÉVENIN

DANS UN SECTEUR À L’AUBE DE BOULEVERSEMENTS, LA MUTUELLE CAPITALISE SUR SES FORCES TRADITIONNELLES, NOTAMMENT LA FIDÉLITÉ DE SES SOCIÉTAIRES. TOUT EN EXPLORANT DE NOUVEAUX TERRITOIRES.
Les 156 maîtres d’école qui ont fondé en 1934 la Mutuelle d’Assurance Automobile des Instituteurs de France n’en croiraient sans doute pas leurs yeux. Dans les couloirs de ce qui s’appelle aujourd’hui la Maif, il est désormais question de « learning expedition » dans la Silicon Valley, de « disruption » ou de « néobanque ». Non pas que la mutuelle niortaise ait tourné le dos à sa vocation d’origine ou s’imagine un destin outre-Atlantique. Avec 3 millions de sociétaires, une place dans le Top 5 sur les marchés de l’auto et de l’habitation en France et des profits plus que confortables pour un groupe qui n’a pas d’actionnaires à rémunérer (173 millions d’euros de résultat net en 2015, 116 millions par an en moyenne sur la période 2004-2014), l’« assureur militant » a fait la preuve de son succès.

Il peut aussi se reposer sur un fonds de commerce solide. Certes, le temps où le corps enseignant s’assurait comme un seul homme chez elle est révolu, mais cette clientèle lui reste encore relativement acquise. Sans compter que le groupe mutualiste a assuré ses arrières en ratissant au-delà du monde de l’Education nationale. Sa filiale Filia-Maif, créée en 1988 et « ouverte à tous ceux qui partagent ses valeurs », a été son premier vecteur de recrutement ces dernières années pour représenter aujourd’hui le tiers de son portefeuille. Mais, à l’heure où le digital est en train de rebattre les cartes dans tous les domaines, la Maif est bien décidée à bouger la première, avant les autres acteurs du secteur. Et à s’ouvrir de nouveaux terrains de jeu.

Il faut dire que les menaces sont nombreuses. La généralisation à venir des objets connectés (boîtes noires dans les véhicules, détecteurs de présence ou de fuites d’eau dans les maisons, etc.), mais aussi l’arrivée prochaine de la voiture autonome font courir, selon elle, le risque d’une contraction importante de la « masse assurable », autrement dit de la taille du marché. En effet, ces progrès technologiques devraient permettre d’améliorer la prévention et de réduire le nombre d’accidents de la route, de dégâts des eaux ou de cambriolages. Ce qui, en retour, devrait logiquement faire baisser les cotisations payées par les assurés, et donc, in fine, le chiffre d’affaires des assureurs. Pour un groupe qui réalise encore 70 % de son chiffre d’affaires en assurance auto et en habitation, il y a donc potentiellement gros à perdre.

Richesse et différence
Sur le plan concurrentiel, par ailleurs, le danger peut surgir de partout : les Gafa (Google, Facebook et compagnie) font figure d’épouvantails, tandis que les assurtech sont déjà parties à l’attaque du secteur en exploitant les failles des opérateurs traditionnels. « ll nous faudra bien sûr être les meilleurs possible sur le digital, mais cela ne suffira pas. Nous ne ferons pas mieux que Google sur l’exploitation des données ou que Lemonade [une start-up qui promet à New York la souscription d’un contrat habitation en quatre-vingt-dix secondes et une indemnisation des sinistres en trois minutes, NDLR] sur l’expérience utilisateur », reconnaît Pascal Demurger, le directeur général du groupe Maif.

Face à ces périls plus ou moins lointains, la mutuelle ne voit qu’une solution : tenter d’affirmer de plus en plus sa singularité. C’est ainsi qu’en 2014, alors en pleine réflexion sur son futur plan stratégique à horizon 2018, elle a quitté Sferen, le pôle mutualiste formé quelques années plus tôt avec la Macif et la Matmut. Celui-ci aurait en effet dû se transformer en un véritable groupe intégré dans le nouveau cadre prudentiel de Solvabilité II, une perspective dont la Maif ne voulait pas. Parce qu’elle est riche (2,37 milliards d’euros de fonds propres à fin 2015) et convaincue d’avoir un modèle différenciant, cette dernière préfère tracer sa route en solo.

De fait, elle a un atout que tout le monde lui envie : le lien qu’elle a réussi à tisser avec ses assurés. La Maif, qui a la réputation d’être plutôt chère, a tout misé sur des garanties très protectrices et la qualité du service rendu. Résultat, ses sociétaires lui témoignent une fidélité hors norme. Sur la seule mutuelle historique Maif – le noyau dur du groupe -, le taux de départs volontaires est à peine de… 0,80 % par an ! Un record que personne n’approche dans l’assurance. « Cela a un impact économique gigantesque, et c’est le socle de notre modèle de développement », explique Pascal Demurger. Comme elle ne perd qu’un tout petit nombre d’assurés chaque année, la Maif n’a en effet pas besoin de dépenser autant en frais d’acquisition que les groupes qui font face à un turnover important. Elle peut, a contrario, consacrer beaucoup plus de moyens à la satisfaction client et à la gestion des sinistres, le moment de vérité pour un assureur puisque c’est alors qu’il délivre (ou non…) la promesse vendue. Atypique, ce positionnement s’avère payant et lui vaut, année après année depuis 2003, de gagner le très réputé prix de la relation client du secteur de l’assurance.

Alors qu’elle doit, comme le reste du secteur, mener à bien sa transformation numérique, la Maif entend bien tirer profit au maximum de cette « relation de confiance » inébranlable. Elle fait le pari que sa marque, bien identifiée, peut s’exporter au-delà de ses activités traditionnelles et aussi sur des métiers qui ne sont a priori pas les siens. Et c’est ainsi qu’elle veut élargir son éventail d’activités, « parce que c’est à la fois une attente de nos sociétaires et un relais de croissance », explique Pascal Demurger. La mutuelle se verrait bien en plate-forme de services proposant aussi des produits autres que l’assurance. Une première pierre a été posée en 2016 avec le lancement, à la surprise générale, d’un agrégateur de comptes bancaires, un outil encore peu répandu. L’intérêt de la Maif est évident, puisque cela lui permet de s’immiscer dans la relation bancaire. Son tour de force aura été de construire Nestor en quelque mois et de damer le pion aux grandes banques françaises. Reste à voir toutefois jusqu’où l’assureur mutualiste pourra pousser sa diversification tout en restant légitime aux yeux de ses sociétaires.

La Maif a, en revanche, déjà préempté un autre terrain, celui de l’économie collaborative. Elle affiche l’ambition de devenir « l’acteur référent » de ce secteur en plein essor, qui voit, par exemple, des particuliers se louer des voitures les uns aux autres ou échanger des biens ou des services via des plates-formes spécialisées. Elle s’y intéresse d’autant plus que ces nouveaux modes de consommation vont avoir un impact profond sur l’assurance, étant donné qu’il s’agit de couvrir plus seulement la propriété d’un bien 24 heures sur 24, mais son usage pendant une période donnée et pour des utilisateurs qui ne sont jamais les mêmes. Pour prendre la main, la mutuelle investit à tour de bras dans les jeunes pousses de l’économie collaborative. Depuis 2014, elle a déjà pris des tickets dans 18 d’entre elles, comme GuestToGuest (échanges de maisons ou d’appartements) ou Koolicar (autopartage de véhicules entre particuliers), pour un montant total d’environ 85 millions d’euros. Un rythme effréné, qui la faisait même ressortir, sur l’année 2016, comme l’un des investisseurs les plus actifs dans la French Tech, selon des données de CB Insights. En comptant les sommes engagées dans d’autres start-up, dans d’autres fonds ou dans Numa, un incubateur parisien dont il est devenu l’actionnaire de référence, l’assureur est déjà arrivé au bout de l’enveloppe de 125 millions allouée en 2015 au fonds d’investissement Maif Avenir et qui devait aller jusqu’en 2018. Mais il n’a pas l’intention de s’arrêter là, puisqu’il envisage de redoter cette structure. Habituée par essence à se situer à long terme, la Maif sait qu’elle n’est qu’au début de cette course de fond.

Chiffres clefs
Chiffre d’affaires (2015) : 3,365 milliards d’euros (+4,5 %, à périmètre constant par rapport à 2014), dont 2,662 milliards en non-vie et 703 millions en assurance-vie.

Résultat net (2015) : 173 millions d’euros.

La mutuelle niortaise comptait, à fin 2015, 3,033 millions de sociétaires IARD, soit 59.700 de plus qu’en 2014, pour 10,53 millions de contrats (+2,1 %).

A fin décembre 2015, la Maif assurait près de 3,5 millions de véhicules et 3,2 millions de« lieux de risques ».

Fonds propres (2015) : 2,375 milliards d’euros (+7,9 % par rapport à 2014).

Total des actifs gérés (à fin 2015) : 15,660 milliards d’euros.

Effectifs : 7.455 salariés.
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