Laurent Thévenin Guillaume Maujean
L’Italie paraît difficilement gouvernable après les élections législatives. Les partis populistes ont fait le plein, mais aucun ne dispose d’une majorité absolue. Cela pèse-t-il sur le climat des affaires dans le pays ?
Cela n’a aucun impact sur les affaires. Il faut bien voir que les Italiens sont habitués à ce genre d’incertitude politique et que les institutions du pays sont solides. L’économie italienne se caractérise aussi par un tissu efficace de PME familiales, dynamiques et très exportatrices. Et soyons clairs : il n’y a pas de risques que l’Italie sorte de la zone euro. Ni le Mouvement 5 étoiles ni la Lega n’ont un programme anti-européen. C’est pour cela que les marchés financiers n’ont d’ailleurs que peu réagi. Il faut par ailleurs éviter les amalgames avec la situation en France, car les discours des partis divergent sur des points structurants. Ainsi, la Lega est un parti très pro-entrepreneurs opposé à toute forme d’assistance sociale.
Comment répondre à cette montée du populisme ?
Je suis toujours un peu gêné quand on emploie ce mot, car c’est assez réducteur et péjoratif. Le populisme, c’est avant tout l’expression d’une colère, d’une peur, d’un malaise. Il n’y a pas de démocraties sans débats, et c’est justement l’enjeu des démocraties contemporaines que d’apporter des vraies réponses politiques à l’inquiétude d’un nombre important de citoyens. La France est un bon exemple : la dernière présidentielle a été marquée par l’expression de mécontentements, mais, au final, les électeurs ont donné un mandat fort à Emmanuel Macron. Il faut vraiment croire à la démocratie. Quand je vois ce qu’il se passe dans certains pays, je me réjouis chaque jour que nos institutions démocratiques fonctionnent et garantissent les libertés individuelles.
L’Italie ne fait-elle pas aujourd’hui figure de pays à risques en Europe, notamment au regard de la fragilité de ses banques ?
C’est très exagéré, parce que son système bancaire a été assaini à 90 %. Ces dernières années, l’Italie a aussi continué sur la voie des réformes. Elle a mené à bien la réforme des retraites la plus courageuse de toute l’Europe. Matteo Renzi a aussi réussi à faire adopter son « Jobs Act ». L’endettement italien est certes important, mais il n’y a pas de déficit primaire, contrairement à la France. La balance commerciale est significativement excédentaire en Italie alors qu’elle est structurellement déficitaire en France.
Quelle doit être la place de l’Italie en Europe ?
L’Italie doit être beaucoup plus proactive en Europe et faire partie du moteur européen. Il est nécessaire que le couple franco-allemand s’élargisse pour mener à bien le projet d’aller vers beaucoup plus d’intégration.
En tant que dirigeant d’un grand groupe étranger, avez-vous senti un changement de perception de la France dans le monde depuis l’élection d’Emmanuel Macron ?
C’est véritablement spectaculaire. La France avait perdu beaucoup de crédibilité ces dix dernières années. Là, on est passé de noir à blanc. On commence à admirer de nouveau la France. Le regard des investisseurs a complètement changé et je m’en aperçois à chaque fois que je suis à Londres, à Milan ou à Francfort. C’était aussi particulièrement frappant lorsqu’une centaine de patrons de multinationale ont été reçus au château de Versailles en janvier dernier. Il y a une nouvelle manière de présenter la France, à la fois extrêmement professionnelle et très attractive. D’ailleurs, les réactions des grands patrons présents à cet événement ont été enthousiastes. Emmanuel Macron sait clairement « vendre » la France. C’est positif, car cela va créer de l’investissement, de la croissance et de l’emploi. Et il n’y a aucune raison pour que cela ne dure pas.
La croissance est là en 2018, mais il y a malgré tout des zones de faiblesse et la menace du protectionnisme…
Je suis structurellement optimiste, parce que cette croissance, qui frôle les 2 % en Europe, qui est à 3 % aux Etats-Unis et qui est bien plus élevée encore en Asie, a une réalité. Mais les tensions protectionnistes créent de la volatilité, qui peut remettre en cause cette dynamique de croissance et nourrir l’inflation. Je suis un fervent partisan d’un libre-échange mondial, mais il faut que celui-ci se fasse dans la réciprocité. Je n’ai, par exemple, jamais compris qu’on puisse laisser une entreprise étrangère acheter 100 % d’une compagnie européenne, alors que l’inverse n’est pas possible dans son pays !
Si vous deviez citer les deux ou trois faits marquants qui ont changé le monde de l’assurance ces cinq dernières années, lesquels citeriez-vous ?
La baisse des taux d’intérêt, en premier lieu. Cela nous a obligés à complètement changer d’approche et à nous désensibiliser aux produits d’assurance offrant des taux garantis. C’est un travail que j’ai entamé il y a cinq ans quand j’ai été nommé à la tête de Generali Italie, inspiré par mon expérience des taux bas au Japon dans les années 2000. Nous sommes aujourd’hui en train de nous « dérisquer » en Allemagne, le pays où nous sommes le plus exposés à cette problématique. Aujourd’hui, Generali est particulièrement bien préparé pour traverser une période longue de taux d’intérêt bas.
L’autre fait marquant, comme dans la majorité des secteurs d’activité, c’est évidemment la montée en puissance de la digitalisation et de la numérisation. En Italie, cela a révolutionné notre manière de faire de l’assurance automobile. Nous y avons déjà équipé 1,5 million de véhicules avec des boîtiers qui récoltent des informations sur la conduite, comme les freinages ou les accélérations. Cela nous permet d’offrir des tarifs basés sur le comportement des conducteurs. Nous allons aussi utiliser de plus en plus l’intelligence artificielle, les robots pour souscrire des risques. Ce sera plus performant pour des produits de masse comme l’assurance auto.
Enfin, nous devons composer avec une réglementation de plus en plus lourde, entre Solvabilité II, PRIPs, MiFID ou les normes IFRS 17. Nous sommes aujourd’hui dans l’excès et il n’y a plus de stabilité de la réglementation.
AXA a annoncé récemment l’acquisition de XL Group pour plus de 15 milliards de dollars. Cette opération présage-t-elle un mouvement de consolidation du secteur ?
Je ne vois pas de signaux particuliers laissant à penser qu’on s’engage dans cette direction. De notre côté, nous poursuivons notre chemin. Il y a deux ans, nous avons lancé un plan que nous appliquons avec un certain succès si l’on en juge par le niveau de nos résultats. C’est une stratégie de rationalisation industrielle, qui prévoit la vente d’un certain nombre d’actifs non stratégiques. Elle va amener la compagnie à disposer de ressources significatives que nous allons pouvoir réinvestir dans la croissance de nos activités d’assurance et de gestion d’actifs. Nous étudierons toutes les opportunités cohérentes avec notre stratégie.
Pourquoi miser aujourd’hui sur la gestion d’actifs ?
Par rapport à nos grands concurrents, nous avons une forte prédominance en assurance-vie, qui représente 70 % de nos 70 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Il est dommage d’être un acteur aussi fort de l’assurance-vie et de ne pas avoir d’activité de gestion d’actifs, car ce sont deux métiers connexes. Traditionnellement, l’assurance-vie ne gérait que des obligations d’Etat et des immeubles. Cette époque est révolue. Maintenant, l’assurance-vie est obligée de gérer des classes d’actifs alternatives, comme le « private equity », la dette privée ou les infrastructures, par exemple. Nos expertises sont inégales selon les classes d’actifs, c’est pourquoi nous avons choisi de nouer des partenariats avec les meilleurs spécialistes des domaines concernés. Nous voulons ainsi renforcer notre gestion d’actifs pour en faire notre troisième pilier, à côté de l’assurance-vie et de l’assurance-dommages.
Amazon semble s’intéresser de plus en plus à l’assurance aux Etats-Unis et en Europe. Redoutez-vous l’arrivée des Gafa ou d’autres nouveaux entrants dans l’assurance ?
Il va forcément se passer des choses. Une nouvelle forme de concurrence a déjà émergé avec l’e-business. Je regarde d’ailleurs plus cette nouvelle concurrence que la concurrence traditionnelle, qui ne m’effraie pas. Qu’est-ce qui, aujourd’hui, pourrait empêcher les Gafa d’avancer dans l’assurance ? Ils ont des capitaux nécessaires. Ils ont aussi des données. Or l’assurance est précisément un métier de data. Ces géants du numérique ont su également faire la preuve d’une expérience client d’une qualité remarquable. Nous essayons d’ailleurs de nous servir d’eux comme d’un benchmark pour améliorer notre propre qualité de services. Après, c’est comme dans le sport, il ne faut pas sous-estimer son adversaire mais ne pas en avoir peur non plus. Car l’assurance reste largement un produit qui se vend plus qu’il ne s’achète : hormis pour les produits obligatoires, personne ne va spontanément acheter un contrat d’assurance. Les explications et le conseil jouent encore un rôle essentiel, il est donc primordial de pouvoir compter sur des réseaux de distribution solides et fidèles. C’est le cas de Generali et cela, nous permet d’être mieux préparés pour affronter ces nouveaux défis.
Son parcours
Agé de cinquante-sept ans, Philippe Donnet dirige Generali depuis mars 2016, après avoir été à la tête des activités italiennes pendant deux ans et demi.
Diplômé de l’Ecole polytechnique et membre agrégé de l’Institut des actuaires français, il a d’abord passé une vingtaine d’années chez AXA, de 1985 à 2007. Il y a dirigé la filiale italienne, la région Méditerranée, Amérique latine et Canada, les activités de réassurance, les opérations au Japon, puis la zone Asie-Pacifique.
Il est ensuite parti chez Wendel créer l’activité d’investissement dans la région Asie-Pacifique. En 2010, il a participéà la création de la société d’investissement HLD, avant de rejoindre Generali en octobre 2013.
Son actualité
Generali a annoncé il y a quinze jours un résultat net en hausse de 1,4 % pour l’exercice 2017, à 2,1 milliards d’euros, et un résultat opérationnel record de 4,89 milliards d’euros.
Le troisième assureur européen doit présenter un nouveau plan stratégique le 21 novembre prochain.
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