Credit Suisse a créé la surprise en annonçant mardi le départ à la fin du mois de juin de son dirigeant américain Brady Dougan, aux commandes depuis huit ans, et son remplacement par le Franco-Ivoirien Tidjane Thiam, actuel patron de l’assureur britannique Prudential. « Un Franco-Ivoirien à la tête de Credit Suisse ? C’est une révolution dans ce pays qui privilégie des nationaux, voire des Américains ou des Allemands pour diriger ses entreprises », commente un bon connaisseur des milieux économiques helvétiques.

Les investisseurs ont salué cette annonce, le titre clôturant la séance en hausse de 7,76 %, à 25 francs suisses. Mais cette nomination suscite également des interrogations quant aux priorités stratégiques de la banque. Que signifie cette révolution annoncée pour Credit Suisse ? Tidjane Thiam a levé un coin du voile dans une interview accordée à la radio publique suisse RTS. Il affirme avoir été attiré par « l’histoire de la marque et son prestige », et partager « les mêmes valeurs avec les personnalités qui la composent ». Il reconnaît néanmoins qu’ « il y a de nombreux défis à relever, à commencer par un problème de communication et d’image. Et, sur ce plan, il y a encore des choses à clarifier, du travail à faire. » Le futur dirigeant de Credit Suisse considère toutefois que « les orientations actuelles sont les bonnes. L’accent mis sur la gestion d’actifs et la banque privée est une bonne stratégie, en particulier sur les marchés émergents que je connais bien ». Va-t-il tourner la banque vers l’Asie ? « Ce continent représente 70 % de la population mondiale et la plus forte croissance du PIB. Il n’y a pas de stratégie aujourd’hui qui ne soit pas asiatique. Mais il y a d’autres zones qui se développent et offrent beaucoup d’opportunités de développement », poursuit le nouveau patron de Credit Suisse.

Ce « cap sur l’Asie », une région qui livre chaque année son lot de nouveaux millionnaires, séduit les analystes interrogés par l’agence de presse suisse ATS. Selon Andreas Venditti, de la banque Vontobel, Tidjane Thiam « apporte, en tant que directeur général de Prudential, son expérience de l’Asie, une région qui prend toujours plus d’importance pour Credit Suisse aussi ». « Tidjane Thiam pourrait bien miser de manière plus prononcée sur la gestion de fortune, une activité plus stable et plus rentable sur le long terme », indique de son côté Andreas Brun, de la Banque Cantonale de Zurich. Il pourrait « réduire les activités dans la banque d’affaires et procéder à une augmentation de capital dans la foulée », ajoute Roger Degen, chez Julius Baer.

« Avec Tidjane Thiam, c’est un leader remarquable et respecté, au bénéfice d’une réussite impressionnante dans l’industrie globale des services financiers qui reprendra la tête de notre banque », a assuré Urs Rohner, le président du conseil d’administration de Credit Suisse. Ce dernier a souligné que l’actuel patron du groupe, Brady Dougan, avait maintenu la banque sur la bonne voie malgré « un environnement complexe ». Brady Dougan, un des rares patrons dans le secteur bancaire à avoir conservé son poste après la crise financière (avec ceux de BBVA et Nordea), a déclaré que le moment était « idéal pour la banque comme pour moi » pour « passer le témoin ».

Ce moment était d’ailleurs attendu par nombre d’observateurs, après que Credit Suisse a dû payer 2,5 milliards de dollars aux autorités américaines. La banque avait plaidé coupable l’an dernier de complicité d’évasion fiscale pour le compte de contribuables américains. Cela, ajouté à la baisse des profits de Credit Suisse, avait valu à Brady Dougan une avalanche de critiques, émanant notamment d’une classe politique habituellement peu encline à critiquer les banquiers du pays. 

Jean-Jacques Franck, Les Echos
Correspondant à Lausanne