Warren Buffett fait durer le suspense. A quatre-vingt-trois ans, il refuse de donner le moindre indice sur la personne susceptible de le remplacer à la tête de Berkshire Hathaway. Publié samedi, sa lettre annuelle est celle d’un homme donnant l’impression de vouloir conserver la barre pendant encore de nombreuses années. « L’année prochaine nous permettra de faire le point sur les cinquante premières années de Berkshire et de spéculer un peu sur les cinquante ans qui viennent », ironise-t-il dans la fin de sa missive. Un courrier de 23 pages destiné à ses actionnaires, mais que s’arrachent les investisseurs du monde entier, tant elle recèle de bons mots et de conseils iconoclastes. « Si on vous propose des profits rapides, répondez par un “non” rapide », a-t-il encore exhorté samedi.

Ce principe continue de lui réussir : l’homme qui se targue de privilégier les marques fortes (Coca-Cola, Procter&Gamble, IBM, American Express, Exxon, etc.) et de fuir tous les investissements qu’il ne comprend pas, a réalisé une année 2013 exceptionnelle : son groupe a dégagé un profit record de 19,5 milliards de dollars l’an dernier, en hausse de 31 % par rapport à l’année précédente. Le rebond de l’économie américaine n’y est pas pour rien. Ses investissements dans l’énergie, les assurances, l’agroalimentaire et les transports dépendent directement de la croissance et de la consommation du pays. Malgré un résultat très supérieur à celui de l’année précédente, le « sage d’Omaha » regrette que la valeur de ses actifs (chemins de fer, compagnies d’électricité, etc.) n’ait pas progressé autant que la Bourse américaine l’an dernier (18 % contre 32 %). En presque cinquante ans d’activités, ce n’est que la dixième fois que la comparaison lui est défavorable. Le groupe, qui refuse de se laisser porter par les courants de la Bourse et table exclusivement sur le long terme, se débrouille mieux quand les vents sont contraires. Ce fut notamment le cas pendant la crise financière d’après 2008.

Une montagne de cash

L’investisseur, détenteur de la quatrième plus grande fortune mondiale, n’a pas réduit son appétit pour les acquisitions à plusieurs dizaines de milliards de dollars. Assis sur un montage de cash de quelque 50 milliards de dollars, il espère s’allier avec des fonds d’investissements, comme il l’a fait l’an dernier avec 3G pour s’approprier le groupe Heinz, propriétaire de la fameuse sauce Ketchup.

Comme chaque année, il fait preuve d’un patriotisme et d’un optimisme sans borne à l’égard de son pays – ses investissements l’an dernier se sont d’ailleurs fait à 90 % aux Etats-Unis. « Même si nous investissons à l’étranger, les opportunités les plus nombreuses restent aux Etats-Unis. La dynamique de notre économie va continuer d’opérer comme par magie », assure-t-il en ajoutant que les « meilleurs jours de l’Amérique sont encore à venir ».

Seule ombre au tableau : les pensions de retraite constituent une bombe à retardement pour le pays et les collectivités locales. « Les retraites constituent un cancer gigantesque, car les pouvoirs publics ont promis des niveaux de pension qu’ils ne pouvaient pas se permettre d’honorer. Au cours de la prochaine décennie, vous allez entendre beaucoup de mauvaises choses sur le sujet », prévient-il, alors que Detroit et Porto Rico luttent déjà pour leur survie financière.

Lucie Robequain
Bureau de New York