Les bébés en train de naître aux Etats-Unis sont les plus chanceux de l’histoire. La phrase aurait de quoi faire sursauter Donald Trump, qui ne cesse d’évoquer le déclin de l’Amérique pour galvaniser les foules. Elle est le fait d’un autre milliardaire, qui continue d’afficher un optimisme sans bornes à l’égard de son pays : Warren Buffett. « Les familles de mon quartier affichent un niveau de vie bien meilleur que celui dont disposait John Rockefeller au moment de ma naissance. Sa fortune avait beau être gigantesque, elle ne permettait pas d’acheter ce que nous considérons désormais comme acquis, en termes de transports, de loisirs, de communication et de médecine notamment », défend-il dans sa lettre annuelle publiée samedi. Un courrier d’une trentaine de pages destiné à ses actionnaires, mais que s’arrachent les investisseurs du monde entier, tant il recèle de bons mots et de conseils iconoclastes.

L’homme – le plus riche d’Amérique derrière Bill Gates – a réalisé une année 2015 en demi-teinte : le bénéfice de Berkshire Hathaway a certes progressé de 21 % sur l’année, à 24 milliards de dollars. Mais la performance boursière a déçu : l’action du conglomérat a chuté de 12 % l’an dernier, là où le S&P 500 est resté quasi stable (-1 %). Ses participations dans Walmart, IBM et American Express – des groupes qui souffrent de la chute du dollar – l’ont beaucoup desservi. La chute du prix du pétrole aussi, qui frappe de plein fouet le secteur des hydrocarbures, et avec lui le transport de fret dans lequel Warren Buffett a beaucoup investi (BNSF, etc.).
Appétit pour les acquisitions

Mais ce ne sont pas ces vents contraires qui vont entamer son appétit pour les acquisitions à plusieurs milliards de dollars. Bien au contraire : l’homme, qui se targue de privilégier les marques fortes (Coca-Cola, Procter & Gamble, IBM, American Express, Exxon, etc.) et de fuir tous les investissements qu’il ne comprend pas, vient de boucler la plus grosse opération de sa carrière, avec le rachat du groupe de composants industriels Precision Castparts (37 milliards de dollars). Une acquisition qui succède à celle des ketchups Heinz et des piles Duracell les deux années précédentes.

Inoxydable, l’octogénaire reste toujours aussi muet sur sa succession. Il prend même un malin plaisir à faire des plans sur quinze ans : « Le 30 août 2 030 – le jour de mon 100e anniversaire – je prévois d’annoncer que GEICO est devenu numéro un mondial des assurances auto. Bloquez vos agendas ! » Il répond aux critiques qui lui ont été faites ces derniers mois au sujet de sa collaboration avec 3G – un fonds d’investissement connu pour tailler les coûts et licencier sans état d’âme. « Jorge Paulo Lemann et ses associés ne pourraient pas être de meilleurs partenaires », écrit-il, tout en reconnaissant que lui et 3G « suivent des chemins différents » en matière de gestion d’entreprise. L’homme est beaucoup moins bienveillant à l’égard des investisseurs activistes, qui bouleversent les entreprises contre le gré de leur PDG. « Si vous voulez être malheureux toute votre vie, mariez-vous avec quelqu’un dont vous voulez tout changer », conclut-il.
Lucie Robequain, Les Echos
Bureau de New York

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