Stupeur et tremblements dans le monde de l’assurance-santé. Pour un grand nombre d’intervenants, l’avant-projet de loi transposant l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier dernier, qui généralise la complémentaire santé en entreprise, a été un véritable coup de massue. Le texte transmis au Conseil d’Etat lundi maintient en effet le principe des clauses de désignation, c’est-à-dire la possibilité pour les partenaires sociaux de sélectionner le ou les organismes assureurs qui assumeront la gestion du régime de frais de santé pour l’ensemble de la branche. « Nous regrettons le fait que la traduction législative ne soit pas le reflet exact du texte signé par les partenaires sociaux »,déclare Etienne Caniard, le président de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF). Dans l’ANI, il était en effet prévu que les entreprises de la branche aient la liberté de choix de leur assureur. « Il est regrettable que ce principe emblématique ait été abandonné », observe Bernard Spitz, le président de la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA).

« Avec les clauses de désignation, on se préoccupe uniquement de la manière dont les complémentaires santé solvabilisent la demande. Cela nous pose problème parce que, selon nous, le choix d’un organisme complémentaire, la définition d’une garantie et de services doivent se faire au plus près des besoins des personnes protégées », explique Etienne Caniard.

Mais c’est une autre perspective qui cristallise les inquiétudes de la profession. Si l’ANI était transcrit ainsi dans la loi, il changerait complètement la donne sur le marché de la complémentaire santé. Agea, la Fédération nationale des syndicats d’agents généraux d’assurance, s’alarme ainsi « du retrait du secteur concurrentiel et marchand de pans entiers d’activités ». Les assureurs, les mutuelles et les intermédiaires d’assurance savent qu’ils ont d’autant plus gros à perdre que le mécanisme de la désignation profite essentiellement aux institutions de prévoyance, gérées paritairement par le patronat et les syndicats. Ces dernières ont emporté la quasi-totalité de la soixantaine d’accords de branche déjà mis en place.

Pour l’Association pour la promotion de l’assurance collective, « le maintien des clauses de désignation renforcerait l’abus de position dominante des institutions de prévoyance ». Ce qui, affirme-t-elle, aurait des « conséquences catastrophiques » pour les mutuelles et les intermédiaires d’assurance. D’après le Syndicat 10, qui regroupe des courtiers grossistes, 30.000 emplois et davantage de 1.000 entreprises seraient menacés par le maintien des clauses de désignation.

« Ces clauses doivent être interdites au profit des recommandations. C’est la seule façon de garantir une concurrence permanente des acteurs du marché et de préserver ainsi l’intérêt des salariés », réclame Charles Robinet-Duffo, PDG du groupe Henner, leader sur le marché du courtage en assurances collectives.« Jamais personne n’a démontré que les clauses de désignation étaient favorables aux salariés », abonde Hervé de Veyrac, le président d’Agea.

Alors que le texte doit passer en Conseil des ministres le 6 mars, avant d’être examiné par les parlementaires, beaucoup craignent que les jeux ne soient éjà faits. « Nous comptons sur les débats à venir pour retrouver l’équilibre qui avait fait consensus auprès des partenaires sociaux signataires et qui est important pour les salariés comme pour les entreprises », espère cependant Bernard Spitz.

Laurent Thévenin, Les Echos