La voix étranglée, la larme à l’oeil, Michel Pébereau a confirmé hier devant des milliers d’actionnaires qu’il quitterait le 1 er décembre la présidence du groupe BNP Paribas. Ne parvenant pas à terminer son discours, il a reçu une « standing ovation » du public et de son comité exécutif. Baudouin Prot, le directeur général, a alors pris la suite, tout comme il prendra la suite à la présidence. « Je souhaite en ce moment très important de la vie et de l’histoire de votre entreprise apporter mon témoignage personnel sur l’oeuvre immense accomplie par Michel Pébereau pour transformer l’entreprise dont il a pris la tête en 1993 », dit-il. Avant lui, Michel Pébereau a retracé la vie de BNP depuis 1993, date à laquelle il y est entré en tant que PDG. Mentionnant la nouvelle dimension prise par la banque depuis son arrivée. « Une de mes obsessions, à chaque fois que j’ai eu à exercer des fonctions de commandement, a été de distinguer et de former ceux qui paraissent susceptibles d’assurer des responsabilités de façon à pouvoir, le moment venu, essayer d’assurer la sélection du meilleur pour me succéder », a expliqué le dirigeant. Et de juger que « l’expérience a permis de montrer que je ne m’étais pas trompé ». A partir de décembre, Baudouin Prot reprendra ses fonctions non exécutives : il animera et présidera le conseil d’administration, assurera les relations avec les régulateurs, les grands investisseurs de la banque et ses grands clients.

« Responsabilité écrasante et exaltante »

Michel Pébereau a aussi confirmé que Jean-Laurent Bonnafé sera bien le futur directeur général : « Nous considérons, Baudouin Prot et moi, ainsi que notre conseil, qu’il est prêt à exercer cette responsabilité écrasante et exaltante dans la très grande entreprise qu’est devenu notre groupe. » Jean-Laurent Bonnafé, de son côté, indiquant que « comme d’habitude » il n’a rien préparé, remercie ses dirigeants et, un peu tendu, s’essaie à un trait d’humour, disant que, étant un ancien de l’Ecole polytechnique et de l’Ecole des mines « qui ne préparent pas à une carrière de banquier », il tâchera de faire de son mieux. Un clin d’oeil peut-être au fait que ses deux prédécesseurs sont pour leur part issus de l’ENA.

Au moment des questions-réponses, plusieurs actionnaires ont communiqué leur regret de voir le dirigeant partir. Certains l’ont remercié « d’avoir constitué ce groupe européen, très fort, très rentable ». L’un d’entre eux s’est toutefois ému que les fonctions de président et de directeur général n’aient pas été regroupées comme l’ont fait dernièrement Air Liquide, Total et Essilor. Les dirigeants ont dû également expliquer à plusieurs reprises la structure de leur propre rémunération et les bonus d’une valeur de 1 milliard d’euros versés aux opérateurs de marché. « Les bonus que nous versons équivalent à la moitié ou au tiers de ceux distribués chez Deutsche Bank ou Barclays alors que nous avons quasiment la même taille », a justifié Baudouin Prot.

L’ensemble des résolutions ont ensuite été votées, comme de coutume à une écrasante majorité. Et sans surprise, le mandat d’administrateur de Baudouin Prot, qui arrivait à échéance cette année, a été renouvelé pour trois ans.

R. R., Les Echos

 

« Nous avons réalisé le projet que nous nous étions fixé »

 

Dans quel état d’esprit êtes-vous, à l’annonce de votre prochain départ ?

Je suis à la fois triste et joyeux. Triste parce que cela va être, pour moi, un déchirement. Depuis dix-huit ans, comme PDG puis comme président, la BNP puis BNP Paribas occupent ma vie et mes pensées nuit et jour. Mais joyeux aussi, parce que le groupe se porte bien, ses résultats sont remarquables. Lorsque j’ai pris la tête de la BNP en 1993, elle n’était pas armée pour faire face aux bouleversements à venir de l’industrie bancaire. Son indépendance était loin d’être acquise. Le rêve qui était le mien de transformer cette institution en une entreprise rentable contribuant au rayonnement économique mondial de la France et de l’Europe s’est réalisé. Et Baudouin Prot et Jean-Laurent Bonnafé constituent une équipe formidable.

Pourquoi l’avoir annoncé dès aujourd’hui ?

Chaque fois qu’une responsabilité m’a été confiée, j’ai commencé à penser à ma succession dès ma nomination. Tout se passe comme prévu. J’avais décidé en 2003 de renoncer à mes fonctions de directeur général et de les confier à Baudouin Prot à la surprise générale. Mais j’avais soixante et un ans et, après la réussite de la fusion, BNP Paribas était bien sur les rails. Je considérais qu’il était temps de transmettre la direction générale à Baudouin, qui en avait cinquante-deux. L’expérience a montré que c’était une bonne idée. J’avais aussi fait fixer dans les statuts de la banque les limites d’âge actuelles. Baudouin Prot pense comme moi que ce système, qui permet au directeur général d’exercer ses fonctions de cinquante à soixante ans, est optimal, pour la très grande banque qu’est BNP Paribas.

N’avez-vous jamais eu de doute sur le successeur de Baudouin Prot ?

Il s’impose, tout comme le choix de Bau-douin pour me succéder à la direction générale en juin 2003 et à la présidence en décembre prochain. Nous considérons, Baudouin Prot et moi, qu’il est parfaitement en état d’assurer la direction générale de la banque. Et je sais que Baudouin Prot a toutes les qualités nécessaires pour être un remarquable président. Jean-Laurent Bonnafé est un entrepreneur, un manager et il a fait ses classes de dirigeant de banque. Il est entré à la BNP en même temps que moi – c’est un hasard. Il a travaillé au service des grandes entreprises, puis je lui ai confié la stratégie. Il a démontré ses capacités pendant la bataille boursière sur la Société Générale et Paribas, et comme cheville ouvrière de la mission chargée de réaliser la fusion. Je lui ai ensuite donné la responsabilité de notre réseau bancaire en France, dont il a accéléré la transformation. Par la suite, Baudouin Prot lui a confié en plus la direction de BNL, puis celle de Fortis Banque. La banque de détail est l’une des meilleures écoles de management. Pour réussir, il faut à la fois une vision stratégique et une connaissance des hommes sur le terrain.

Transformer la gouvernance pour revenir à une fonction de PDG n’était pas une option ?

Notre gouvernance actuelle s’est avérée à l’usage parfaitement adaptée à BNP Paribas.

Avez-vous des conseils à prodiguer à la future nouvelle équipe dirigeante ?

Etre aussi complètement que possible eux-mêmes. Porter les valeurs du groupe, au choix desquelles j’avais consacré la première réunion des 80 cadres d’état-major de BNP Paribas en janvier 1993 : réactivité, créativité, ambition et engagement. Et appliquer nos principes de management dont Baudouin et le comité exécutif viennent de faire une belle synthèse : être au service du client, entreprendre en pleine conscience des risques, valoriser les personnes et diriger par l’exemple.

Quel sera le prochain défi, la prochaine frontière de BNP Paribas ?

Ce sera aux nouveaux dirigeants de le définir, avec le conseil d’administration de la banque. Si nous avons un peu anticipé les échéances, c’est pour permettre d’engager très vite la réflexion de long terme. Les réformes de Bâle III et les directives européennes vont bouleverser les conditions de l’activité bancaire. Notre stratégie dépendra aussi de la progression de la construction européenne et des possibilités d’ouverture des pays émergents aux banques étrangères, notamment en Asie, qui leur reste largement fermée. Notre banque a tous les atouts pour saisir, mieux que d’autres, les opportunités qui se présenteront. Je suis sûr qu’elle saura prendre les initiatives nécessaires.

BNP Paribas pourrait-elle encore grossir ? La course à la taille dans la banque n’est-elle pas révolue ?

En 1993, isolée, la BNP n’avait pas l’envergure nécessaire pour faire face aux défis de l’Europe élargie. Sa capitalisation boursière était le tiers de celle de Deutsche Bank. Pour créer la base française nécessaire à la constitution d’une grande banque européenne, j’avais proposé alors un rapprochement amical avec la BNP à la plupart des autres grands groupes bancaires. En vain. Pour réussir, il m’a fallu finalement lancer une opération de marché sans précédent : une offre publique non sollicitée sur deux banques de même dimension que la BNP. Sitôt la fusion BNP Paribas réalisée, j’ai engagé des contacts avec d’autres banques en Europe, notamment avec Fortis, pour créer un établissement réellement européen. Sans succès. Ce sont finalement la crise et la bonne tenue de BNP Paribas, résultant de la qualité de son contrôle des risques ainsi que la persévérance de notre direction générale, qui nous ont donné l’occasion de prendre le contrôle de Fortis Banque. BNP Paribas est aujourd’hui un leader d’envergure mondiale, avec, pour marché domestique, quatre pays fondateurs de l’Union européenne. Le groupe a de formidables capacités de développement par croissance organique et par des acquisitions ciblées. Nous avons réalisé le projet que nous nous étions fixé, la grande banque de l’euro dont les responsables politiques demandaient avec insistance la réalisation avant la crise. Il serait paradoxal qu’on nous explique que notre groupe est trop grand. D’autant qu’il a démontré sa solidité pendant la crise et a considérablement renforcé ses ratios de solvabilité depuis lors. Mais il est vrai que la tentation des régulateurs dans certains pays est de rétablir des obstacles réglementaires qui fragmenteraient le marché. Si le groupe envisageait encore un changement de dimension, il devrait repenser son organisation. Ce n’est pas à l’ordre du jour.

La fusion avec la Société Générale, n’est-ce pas votre principal regret ?

J’ai tourné cette page dès la fin de la nuit du 27 août 1999, au cours de laquelle le gouverneur de la Banque de France a estimé que les 36 % du capital de la Société Générale que nous avait apportés le marché ne suffisaient pas pour en assurer le contrôle et nous a demandé de les rendre. Dès le matin, je lançais la fusion de la BNP avec Paribas dans une réunion commune des comités de direction générale des deux banques.

Qu’est-ce qui fait aujourd’hui la singularité de BNP Paribas ?

Notre entreprise a acquis une culture de la transformation et du métissage qui lui donne une force exceptionnelle dans un monde qui change. La transformation d’abord. La BNP de 1993 avait évité, grâce à René Thomas, certaines erreurs et avait dans sa culture un certain sens des clients et de l’intérêt général. Mais c’était une vieille dame, aux méthodes de gestion obsolètes et au contrôle des risques défaillant. Il fallait la moderniser. Cet effort a été celui des années 1990. Il a fallu alors créer, de toutes pièces, une gestion actif-passif pionnière ; un contrôle des risques reposant sur une filière de spécialistes indépendante ; les instruments de la maîtrise des coûts. Nous avons mené, en constant dialogue avec les partenaires sociaux, un patient travail de reconversion pour adapter les équipes à la banque moderne, à partir d’une vraie gestion prévisionnelle de l’emploi méticuleuse. Et nous avons mis les entrepreneurs au pouvoir. De tout cela est née une vraie culture du changement. L’autre base de la culture de l’entreprise, c’est la fusion réussie de BNP Paribas qui en a été l’élément fondateur : se construire en s’ouvrant à l’autre, ce n’est pas si fréquent. Les étapes ultérieures de l’européanisation de notre groupe ont contribué à renforcer cette culture de métissage et de diversité, qui lui permet d’être aujourd’hui vraiment international tout en restant très proche de chaque réalité locale. BNP Paribas, c’est une véritable communauté d’hommes et de femmes soudés, qui est attachée à ses valeurs, à son éthique. Le respect du contrat social de départ – la modernisation de la banque sans départ contraint -et des principes annoncés, notamment dans la fusion BNP-Paribas, ont créé, je crois, un vrai climat de confiance. Il existe une caractéristique essentielle de BNP Paribas, affirmée continûment depuis 1993 : la volonté d’être une entreprise citoyenne, avec une vision équilibrée et de long terme des intérêts de toutes les parties prenantes : clients, actionnaires, salariés. Dans cette perspective de long terme, j’ai tenu depuis l’origine à fixer un couple rendement-risque inférieur à celui de nos concurrents les plus ambitieux. Cela pénalise peut-être un peu nos résultats en période d’euphorie, mais les sécurise certainement lorsque survient une crise.

Que pensez-vous de la réforme bancaire ?

Il faut tirer toutes les leçons de la crise financière au niveau de la régulation : il manquait une définition précise des fonds propres des banques ; certains risques étaient insuffisamment pondérés et le risque de liquidité pas vraiment contrôlé ; les ratios de solvabilité méritaient sûrement d’être relevés. Mais les projets actuels concernant les ratios de solvabilité et de liquidité, ainsi que les institutions dites systémiques, risquent de peser sur le financement de l’économie tout en laissant de côté certains sujets essentiels. La crise a montré que c’était la qualité de la supervision qui était déterminante : là où celle-ci était assurée et où les banques s’en tenaient à leur vrai métier – en Australie, au Canada, en France et en Italie -, les systèmes bancaires ont mieux résisté. Quant aux normes comptables, qui ont joué un rôle manifeste d’accélération et d’élargissement des bulles de la crise, elles restent à réformer.

N’avez-vous pas collectivement exagéré l’impact sur le financement de l’économie des normes Bâle III ?

En tant qu’entreprise, nous saurons toujours nous adapter. Mais notre devoir de banque au service de nos clients et de l’économie est d’alerter les responsables politiques sur les effets que les surréactions des régulateurs peuvent avoir sur le prix et le volume du crédit, donc sur la croissance. Surtout en Europe continentale, où l’économie est financée pour les deux tiers par l’intermédiation bancaire et où la croissance potentielle n’est déjà pas très vigoureuse.

Quel regard portez-vous sur la crise souveraine européenne ?

Pour limiter l’ampleur de la récession, tous les pays avancés ont alourdi leurs dettes publiques, les Etats-Unis et le Japon, comme l’Europe. Pour moi, cette crise souveraine a démontré la capacité de réaction et de solidarité de l’Europe et donc sa force. En un week-end, nos autorités ont réussi à rassembler 750 milliards d’euros pour aider les pays en difficulté, alors que le traité limitait à 60 milliards le montant total des aides envisageables. La BCE a décidé des interventions non conventionnelles sur les marchés de titres publics dont elle avait jusqu’alors exclu le principe même. Et tous les pays européens ont engagé des programmes de rigueur pour ramener très rapidement les déficits publics dans les limites du Pacte de stabilité. C’est mon regard. Celui des spécialistes de marché reste très influencé par la presse spécialisée où s’expriment surtout des observateurs sceptiques depuis l’origine vis-à-vis de l’euro, voire de l’Europe.

Vous avez l’image du « parrain » de l’économie française. Une carrière politique ne vous a jamais tenté ?

Ma vocation d’origine était la fonction publique : j’ai servi au ministère des Finances pendant quinze ans après ma sortie de l’ENA. A quarante ans, les circonstances m’ont conduit à me reconvertir à apprendre un nouveau métier. Je suis banquier depuis près de trente ans. La politique est un métier. Je n’ai jamais pensé avoir les qualités nécessaires pour l’exercer.

Exercerez-vous des fonctions officielles au-delà du 1er décembre ?

Nous verrons à ce moment-là ! Je conserve toutes mes responsabilités de président du groupe jusqu’au 1 er décembre. Et vous avez constaté, je pense, que c’est un emploi à temps plein. Concernant l’avenir, l’une des causes qui me tiennent le plus à coeur, c’est la création d’activité économique et l’égalité des chances dans les quartiers sensibles. C’est un domaine dans lequel l’entreprise peut contribuer à la cohésion républicaine. J’essaierai d’y consacrer une partie de mon temps.

PROPOS RECUEILLIS PAR laura berny, réjane reibaud et françois vidal, Les Echos