LAURENCE BOISSEAU

AVANT L’ÉTÉ, L’IASB, QUI ÉDICTE LES NORMES COMPTABLES, VA PUBLIER L’IFRS 17, POUR LES ASSUREURS. DES ENGAGEMENTS VALORISÉS AU COÛT HISTORIQUE LE SERONT DÉSORMAIS À LA VALEUR COURANTE.
Après l’IFRS 9 pour les banques, l’IFRS 17 pour les assurances. Fin janvier, les banquiers ont élevé la voix contre la norme IFRS 9 qui révolutionne leur traitement des dépréciations, car elle les oblige à prendre en compte non seulement des pertes avérées mais aussi des pertes probables. Les assurances seront-elles aussi vent debout contre la mise en application de la nouvelle norme IFRS 17, qui va remplacer leur IFRS 4 ?

Voilà dix-sept ans que l’IASB (International Accounting Standards Board), cet organisme privé à qui l’Europe a confié la rédaction des normes comptables internationales, travaille à l’élaboration d’un standard commun spécifique aux assureurs. Un chantier de taille car, pour des raisons historiques, le secteur de l’assurance, très fragmenté, obéit à des règles et à des principes de comptabilité très différentes d’un pays à l’autre. Jusqu’à présent, les assureurs appliquaient la norme IFRS 4 qui permettait les pratiques des comptes locaux. Ce travail, mené par l’IASB, devrait être achevé en mai prochain. L’IASB a oeuvré pour unifier les pratiques et faciliter la comparaison entre les assureurs, répondant ainsi aux investisseurs.

Principal changement engendré par le nouveau cadre : l’évaluation des engagements à venir pour l’assurance-vie. « Aujourd’hui, la règle dominante dans la comptabilité de ces contrats, c’est la valorisation au coût historique. La norme IFRS 17 va obliger les assureurs à constater les engagements d’assurance à une valeur courante (soit une valeur de marché). Ces contrats seront valorisés en actualisant des flux de trésorerie futurs aux taux d’intérêt actuels. Cette manière de calculer va mécaniquement augmenter la valeur des engagements. C’est d’autant plus vrai que les taux d’intérêt sont très bas », explique un spécialiste des normes. La valeur courante introduit aussi plus de la volatilité. Cette problématique concerne surtout l’assurance-vie, qui est une combinaison d’assurance pure et d’investissement. Les contrats d’assurance automobile, dommage ou responsabilité civile ne sont pas concernés.

Ce changement comptable pose une question fondamentale : en face de cette dette accrue, quelle valeur pour les actifs disponibles sur lesquels sont adossés les contrats ? Que faire si leur valeur est inférieure à celle des engagements à long terme ? Et que feront les compagnies qui auraient des fonds propres insuffisants face à cette dette plus forte ?

Nouveaux agrégats
Pour l’heure, l’impact de cette norme sur les assureurs n’a pas encore été estimé. Mais les enjeux sont importants. Ce glissement vers plus de valeur de marché va obliger aussi les assureurs à revoir leur communication à destination des investisseurs car bilan comme compte de résultat seront modifiés. Les agrégats sur lesquels ils se basaient pour rendre compte de leur performance ne seront plus les mêmes. Autre impact, les compagnies devront revoir leur système d’information, ce qui aura un coût élevé. Enfin, dernière préoccupation pour les assureurs, qui est liée avec ce que ces derniers appellent la « granularité ». « Il ne faudrait pas que la comptabilité oblige à rentrer dans une analyse contrat par contrat qui soit plus fine que celle menée par les assureurs » , alerte un spécialiste. Le métier de l’assurance est basé sur une mutualisation des risques. Dans ce cadre, les compagnies travaillent avec des portefeuilles composés de contrats qui peuvent être différents mais qui forment un tout. C’est grâce à cet ensemble non homogène de contrats que les risques peuvent être mutualisés. L’IASB doit se réunir en février. l’occasion pour la profession de discuter de ces points techniques.

Un référentiel qui existe depuis 12 ans
Il y a 12 ans, les entreprises européennes faisant appel public à l’épargne ont basculé dans le monde des IFRS (International Financial Reporting Standards), un référentiel choisi par l’Union européenne pour que tous les paient aient un langage comptable commun.

En 2015, 126 pays soutenaient officiellement l’utilisation des IFRS, représentant 96 % du PNB mondial, 114 pays imposaient déjà les IFRS à toutes les sociétés, 12 l’autorisaient (dont le Japon et l’Inde), et 2 l’imposaient seulement aux banques.

Hans Hoogervorst : « Nous allons travailler à une meilleure présentation des états financiers »
PROPOS RECUEILLIS PAR L. BOI.

HANS HOOGERVORST EST PRÉSIDENT DE L’IASB, ORGANISME PRIVÉ QUI ÉDICTE LES NORMES COMPTABLES. SON MANDAT COURT JUSQU’EN 2021. MICHEL PRADA EST PRÉSIDENT DE LA FONDATION IFRS QUI CHAPEAUTE L’IASB. SON MANDAT SE TERMINE EN DÉCEMBRE 2017.
Quels sont les travaux en cours dans l’élaboration des normes en 2017 ?

Hans Hoogervorst. Nous avons terminé IFRS 9 (sur les instruments financiers), IFRS 15 (leasing) et IFRS 16 (chiffre d’affaires). Les entreprises sont en train de les mettre en application. Il nous reste à clore nos travaux sur une norme très importante, l’IFRS 17 pour les assureurs. Ce sera terminé en mai. Pour l’instant, en termes d’élaboration des normes, nous allons faire une pause, comme le demandent les entreprises. Nous allons du coup être très attentifs à la mise en oeuvre des normes que nous avons édictées pour nous assurer que les pays les appliquent bien de manière homogène. Les relations entre le terrain et le « board » vont devenir notre priorité.

Vous avez aussi réexaminé votre cadre conceptuel, ces principes qui sont à la base de la préparation et de la présentation des états financiers. Où en êtes-vous ?

Hans Hoogervorst. Ce sera fini à l’automne. Ce ne sera pas une révolution, juste une remise à niveau du cadre précédent. Nous avons introduit à nouveau le principe de prudence et de la gestion responsable des dirigeants dans l’élaboration des comptes. L’objectif est d’inciter les entreprises à adopter une position conservatrice dans leur gestion du risque, d’éviter une approche « optimiste » sans justification. Il faut qu’elles aient un jugement raisonnable.

Vos priorités pour 2017 ?

Hans Hoogervorst. Nous allons travailler à une meilleure présentation des états financiers, surtout celle du compte de résultat. Nous n’avons, en dehors du chiffre d’affaires et du résultat net, jamais défini les sous-totaux, des sortes de « soldes intermédiaires standards ».

Michel Prada. Les entreprises font preuve d’une grande créativité à inventer des agrégats qui leur sont propres pour mesurer la performance. En général, à leur avantage. Dans ce contexte, nous voulons plus de discipline et réintroduire de l’ordre cartésien. Au niveau du bilan, nous allons essayer d’être plus clairs sur la différence entre les fonds propres et la dette. Récemment, se sont développés énormément de produits intermédiaires, comme des produits structurés si compliqués qu’il est difficile parfois de savoir quelle est la limite entre capitaux propres et endettement.

La Fondation IFRS, qui chapeaute l’IASB, avec ses Trustees (conseil des Sages) a soumis sa Constitution à révision. Quel en est le résultat ?

Michel Prada. Nous avons réfléchi à l’organisation du « board » des Trustees et à celle du « board » de l’IASB. Et ce, du point de vue de la représentation géographique. C’était surtout lié à la question des Etats-Unis, à la fois parce qu’ils n’ont pas beaucoup progressé depuis cinq ans sur les IFRS après avoir fait un immense travail entre 2002 et 2010, et parce que les Américains ont eu des difficultés à organiser leur part de financement. Nous avons modifié les grandes zones. Le plus important, nous avons fusionné la représentation des Amériques, Amérique du Nord, du Sud et Centrale sans changer le nombre de représentants. Nous avions 6 représentants de l’Amérique du Nord et 1 en Amérique du Sud, nous avons maintenant 6 Américains au global. Cela donne une place plus importante au Canada, au Mexique, à l’Amérique latine, en l’occurrence pour le Brésil. Idem pour le board de l’IASB, nous avons réduit le nombre de membres de 16 à 14. Nous avons gardé 4 Américains, 4 Européens au sens large, 4 d’Asie-Océanie, et puis 1 Africain, 1 « autre », réservé à une personnalité compétente.

Et les Anglais, avec le Brexit, vont-ils conserver leur position ?

Michel Prada. Les Anglais sont dans l’Europe. Ce n’est pas l’Union européenne. Tout dépendra comment les choses vont se passer à l’avenir. Mais, et c’est une certitude, on aura toujours le Royaume-Uni à bord.
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